Auteur(s)
Diane Alalouf-Hall
Les dérèglements climatiques ont un impact sur la vie de millions d’êtres humains, particulièrement sur les populations les plus vulnérables et les territoires les plus exposés. Les projections les plus récentes annoncent un réchauffement planétaire de l’ordre de 2 à 7°C et une montée des océans de 40 à 110 cm d’ici 21001. Ces projections auront inévitablement une incidence sur la sécurité des populations des pays considérés comme forts économiquement et politiquement. Déjà en 2012, Mme Wahlström, représentante spéciale des Nations Unies pour la réduction des risques de catastrophes, rappelait que les pays bien nantis n’échappent pas à cette réalité : « Certains pays très riches, hautement développés, dont l’économie est entièrement interdépendante de l’économie mondiale, ont été frappés très sévèrement, depuis la Nouvelle-Zélande jusqu’au Japon, en passant par l’Australie »2.
Le Japon paie déjà les frais de catastrophes naturelles, lesquelles sont de plus en plus intenses et fréquentes. Les trente dernières années ont en effet été difficiles pour ce pays : typhons et pluies torrentielles s’y sont notamment succédé, causant à chaque fois de nombreuses victimes et des dégâts considérables. Par ailleurs, la population nippone est fortement concentrée en bord de mer et de rivières, la moitié des habitants (soit 126 millions de personnes) vivant sur 10 % du territoire3. Il importe ici d’indiquer que certaines villes situées en bord de mer sont partiellement construites sous le niveau de l’océan. Aussi, pour toutes ces raisons, bien que les tsunamis ne soient pas liés directement aux dérèglements climatiques, la vulnérabilité des habitants du littoral à ces événements géologiques est bel et bien impactée.
Cet article revient sur la catastrophe qui a frappé le Japon en 2011 et plus particulièrement sur la ville de Kamaishi, cette dernière ayant été fortement affectée par le tsunami. Nous analyserons cette catastrophe naturelle en lien avec les premiers résultats d’une recherche doctorale portant sur la territorialité de la résilience et de la vulnérabilité. Dans un premier temps, nous étudierons le caractère évolutif des concepts de vulnérabilité et de résilience. Dans un deuxième, nous présenterons une grille d’analyse visant à caractériser la résilience territoriale en fonction du contexte national ou régional dans lequel survient une catastrophe naturelle. Enfin, nous nous pencherons sur l’approche de la gestion de l’après-catastrophe qui a prévalu à Kamaishi, c’est-à-dire dans une zone économiquement et politiquement forte où les initiatives locales de prévention des catastrophes ont été privilégiées.
Le caractère évolutif des concepts de vulnérabilité et de résilience
En raison du cumul des catastrophes naturelles liées à la vie naturelle de la terre4 et celles liées à des changements forcés (dérèglements climatiques)5, les populations humaines n’ont d’autre choix que de s’adapter et de déployer des actions tant de réponse à l’urgence d’une crise humanitaire que de résilience, c’est-à-dire visant au « renforcement de la résistance aux chocs et aux contraintes ainsi que des capacités de relèvement et de reconstruction » (Conférence de Sendai, 2015)6.
Deux éléments essentiels méritent ici d’être précisés. Premièrement : un événement n’est une « catastrophe » que si la communauté touchée éprouve des difficultés pour y « faire face ». Deuxièmement : la capacité d’une communauté à faire face à sa situation dépendra nécessairement de son exposition à un aléa et de sa capacité économique et sociale à supporter le choc. L’impact négatif d’une catastrophe naturelle sur un territoire sera donc d’autant plus grand que sera faible la capacité de résilience dudit territoire aux effets de la catastrophe.
Deux conclusions émergent de ce constat : d’une part, des territoires faiblement pourvus en capital socioterritorial seront fortement désavantagés pour leur « remise à niveau » suite à une catastrophe. Il s’ensuit une situation de défavorisation territoriale face aux catastrophes qui ajoute une dimension supplémentaire aux facteurs de vulnérabilité déjà existants. D’autre part, il en découle une définition de la vulnérabilité liée à l’enjeu des changements climatiques. Cette dernière serait alors « le degré par lequel un système risque de subir ou d’être affecté négativement par les effets néfastes des changements climatiques, y compris la variabilité climatique et les phénomènes extrêmes. La vulnérabilité dépend du caractère, de l’ampleur et du rythme des changements climatiques auxquels un système est exposé, ainsi que de sa sensibilité et de sa capacité d’adaptation » (GIEC, 2001). Cette définition a le mérite de caractériser la vulnérabilité par trois facteurs : caractère, ampleur et rythme. Dans le contexte actuel, la vulnérabilité n’est plus statique, mais évolutive.
Enfin, si les notions de résilience et de vulnérabilité ne sont pas substituables – puisqu’elles ne mettent pas en scène les mêmes facteurs et n’ont pas les mêmes référents sémantiques –, elles n’en demeurent pas moins étroitement imbriquées. Il existe en effet une forte relation d’interdépendance entre les deux notions pour pouvoir se remettre d’une crise : une population sera d’autant plus résiliente qu’elle aura su apprendre d’une crise qui l’aura affectée et, en corollaire, l’aggravation de la portée d’un événement-catastrophe met à l’épreuve la résilience d’une population en lui demandant une mobilisation supplémentaire de ressources pour y faire face. Résilience et vulnérabilité ont donc tendance à co-évoluer.
Si la résilience s’inscrit en réponse à une fragilité perçue comme réelle et effective, la prise de conscience de cette fragilité agit aussi bien sur la volonté et la capacité de reconstruire après la catastrophe que sur la capacité de prévenir de futurs évènements. Théoriquement, une reconstruction à l’identique pose problème puisqu’elle signifierait une non-prise en compte de l’événement-catastrophe. A l’inverse, une reconstruction « apprenante », c’est-à-dire s’adaptant aux catastrophes, ne représente pas non plus une solution optimale. Elle affecte en effet seulement les facteurs de vulnérabilité en tentant d’en diminuer la portée mais, en définitive, lorsque la vulnérabilité est évolutive, la résilience l’est également.
Il s’ensuit une situation évolutive de jeu à somme plus ou moins nulle où l’on peut être à la fois vulnérable à un choc et parfaitement résilient face à son éventualité en raison des mesures préventives qui auront été adoptées. On peut ainsi multiplier les exemples de villes fortement exposées à des risques qui ont été frappées par des catastrophes et qui ont réussi à rebondir, se relever, se reconstruire et retrouver un état d’équilibre. C’est notamment le cas de Kobé après le séisme de 1995 (Menoni, 2001) et de Kamaishi en 2011 (Alalouf-Hall, 2019).
Contrairement au concept de vulnérabilité qui est passif, la résilience en appelle à l’action car elle fournit une vision, un projet à la fois consensuel et intégrateur (Lallau, 2011) pour les différents paliers gouvernementaux ou d’aide internationale, ce qui explique son succès. Même si ses définitions sont variées, le concept est palpable, quantifiable et donc rassurant (Djament-Tran et al., 2011). Ainsi, la résilience renvoie aux champs de l’évaluation et de la gestion des risques par la création d’indicateurs, le développement de guides de « bonnes pratiques », mais aussi l’élaboration de normes et standards visant à l’objectiver7.
La résilience focalise enfin l’attention sur la responsabilité individuelle des personnes affectées. Pour être plus résilient, il suffirait alors de suivre les indicateurs proposés. Thomas (2010) considère que les politiques de gestion voient les personnes vulnérables comme des citoyens frappés individuellement par des événements-catastrophes, citoyens sommés de prendre part à leur réhabilitation. Malheureusement, cette vision ne prend pas en compte les forces déjà sur place depuis plusieurs décennies – les normes et pratiques locales -, comme si les pratiques de gestion des risques et des catastrophes arrivaient en terrain « vierge ».
Proposition de nuancier pour caractériser la résilience territoriale
En matière d’analyse de la vulnérabilité, le réflexe serait de penser qu’un État fort est forcément plus résilient. Dans les faits, le niveau de résilience au sein de tout espace étatique n’est pas uniforme. Il existe par exemple une résilience différentielle à l’intérieur d’un même État : certaines régions, certaines villes, certains quartiers, certaines activités se rétablissent plus vite que d’autres. On a pu constater récemment ce phénomène avec les États-Unis, suite aux grands feux qui ont ravagé la Californie et détruit des zones habitées, riches, qui ont été rapidement reconstruites. Mais la situation est tout autre en Louisiane où, suite au passage de l’ouragan Katrina en 2005, la revitalisation territoriale a pris beaucoup de temps. Ainsi, cinq ans après l’événement-catastrophe, seulement 20 % de la ville de la Nouvelle-Orléans était considéré comme remis à niveau (Hernandez, 2010 et Huret, 2010). Les deux événements ont pourtant frappé le même pays, ce qui vient interroger la définition des zones dites fragiles ou fortes.
Sachant que la pertinence des outils qui permettraient de mesurer la capacité d’adaptation d’un système est toujours en question (Dauphine?, 2004), comment évaluer alors la capacité générale d’intervention des territoires ? Cette approche met en effet moins l’accent sur l’état dans lequel se trouvent les personnes concernées par un événement-catastrophe que sur les processus qui provoquent cet état dans divers types de territoires.
Selon Villar et Guézo (2017), la résilience territoriale aux catastrophes naturelles renvoie aux capacités d’adaptation et d’organisation d’un territoire. Les capacités dudit territoire lui permettent de surmonter des événements dommageables et la résilience territoriale permet aux cadres normatifs d’offrir des espaces collaboratifs d’action au sein desquels les expertises et les savoir-faire peuvent être assemblés et les divergences surmontées. Le territoire encastre ces cadres normatifs et témoigne de la présence de différents types de capitaux, tout comme il rend compte de faiblesses et de manques en matière de capacités d’action.
Afin de caractériser les différences dans les capacités à faire face à un événement-catastrophe de grande ampleur, nous avons construit un nuancier qui permet de statuer sur la capacité de résilience d’un territoire au sein d’un espace national. À titre indicatif, nous avons mentionné un événement de grande ampleur pour chaque catégorie de situation et de territoire.
Tableau 1 : Nuancier de la résilience territoriale (portrait simplifié)
Un territoire fortement résilient (++) est capable d’anticiper des perturbations, brutales ou lentes, grâce à la veille et à la prospective, et d’en atténuer les effets, le cas échéant. Dans l’éventualité d’un événement-catastrophe non prévisible, ce type de territoire est capable de se relever et de rebondir, d’apprendre de cette situation et de s’adapter, par l’innovation, élevant ainsi sa capacité de résilience et diminuant sa vulnérabilité. Villar et Guézo (2017) les qualifient de « territoires en mouvement ». En d’autres termes, plus le territoire est résilient, plus les actions promues par des organisations compétentes seront adaptables ou malléables. Par ailleurs, le rapport à la nature y est plus conservé – les habitants dudit territoire étant habitués aux caprices de la nature – et les liens communautaires – bien établis et fonctionnels – favorisent les actions de solidarité. Les initiatives déployées localement y ont un plus grand impact que les initiatives déployées par des puissances étrangères.
À l’inverse, dans le cas de territoires faiblement ou non résilients (–), il sera plus difficile de faire cohabiter les solutions proposées par le système d’aide internationale et celles mises en place par les milieux locaux. Un territoire faiblement résilient ou non résilient connaîtra de grandes difficultés pour anticiper des perturbations, brutales ou lentes, et pour en corriger ou atténuer les effets. La période de crise liée à l’événement-catastrophe y est aussi de longue durée. Le rapport à la nature n’est pas une priorité et le réseau communautaire y est en tension.
L’objectif du nuancier proposé ici est de permettre la production de diagnostics préventifs afin de calibrer les actions à déployer. Ce calibrage permet l’adoption d’une posture d’écoute et non d’une posture bureaucratique : il s’agit de combiner une capacité d’agir « en fonction de la réalité territoriale » et de tenir compte « de la réalité catastrophique » ou de l’ampleur de la catastrophe. Les guides universels d’intervention, construits en fonction de l’ampleur d’une catastrophe, peuvent être bonifiés. Il s’agit donc de coordonner différentes capacités d’agir, en respectant les forces et les faiblesses de chacune d’elles.
Le cas d’une catastrophe en territoire fortement résilient : Kamaishi (2011)
Le 11 mars 2011, un séisme de magnitude 9 a frappé le nord-est du Honshu, la plus grande île du Japon. Ce séisme a engendré un tsunami dont les vagues ont atteint jusqu’à 40 mètres de haut. Suite au tsunami, les autorités japonaises ont recensé 19 000 morts et 6 000 blessés. De plus, un demi-million de personnes s’est retrouvé sans abri. Enfin, des explosions et des fuites radioactives ont entraîné la fermeture des centrales nucléaires Fukushima Daichi et Fukushima Daini.
Cette catastrophe a produit un véritable renversement des rôles en matière d’aide humanitaire internationale. En effet, habitué à être du côté des donateurs, le Japon s’est retrouvé en position de vulnérabilité suffisamment critique pour en appeler à l’aide internationale. Selon le Service de suivi financier (FTS) du Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), le Japon aurait ainsi reçu plus de 735 millions de dollars de donations, montant post-catastrophe le plus élevé de l’année 2011 après les dons affectés à la crise alimentaire de la Corne de l’Afrique8.
En 2005, les régions côtières avaient été averties qu’un mégatsunami était à prévoir à l’horizon des trente prochaines années et Kamaishi était directement concernée par ces prévisions. Dans cette région, on dit d’ailleurs que chaque génération peut témoigner d’une catastrophe marquante. L’histoire de Kamaishi est depuis longtemps reliée aux aléas naturels : le séisme Meiji Sanriku (1896) a causé la mort d’environ 60 % des habitants de la ville et le séisme Showa Sanriku (1933) celle de 164 personnes, ainsi que la disparition de 240 autres9. Dans la ville de Kamaishi, la mémoire de ces événements-catastrophes est omniprésente. Des plaques viennent notamment rappeler le niveau atteint par les vagues et des mémoriaux situés dans divers quartiers invitent les habitants et les personnes de passage au recueillement.
Tableau 2 : Historique des tsunamis de la région et des dégâts qui en ont résulté
Cet historique rend compte d’une capacité de résilience élevée due aux apprentissages et actions préventives mis en œuvre au fil des catastrophes. Comme d’autres municipalités au Japon, la ville de Kamaishi a également investi dans la prévention technologique et la sensibilisation : construction de digues et d’abris, distribution de cartes indiquant les zones à risques (Suppasri et al. 2013). Ces initiatives ont notamment permis la construction d’un mur brise-lames à l’entrée du port si imposant qu’il est inscrit au Guinness Book des records (Trucker, 2013).
En complément des actions préventives identifiées, l’éducation des jeunes est apparue comme une mesure préventive à envisager. Ainsi, en 2005, Toshitaka Katada, professeur de génie civil à la Gunma University et spécialiste de la prévention des catastrophes, a mené une première intervention formative à la Kamaishi Higashi Junior High School sur demande du Conseil d’éducation de la ville de Kamaishi. Cette expérience a conduit à la création d’un programme complet de formation en 2008, lequel est inspiré du savoir local « Tsunami Tendeko »10.
L’événement-catastrophe du 11 mars 2011 a dépassé toutes les prévisions : le mur brise-lames s’est en grande partie effondré sous la première vague, haute de 20 mètres, laissant la ville sans défense. Au total, 1064 décès ont été dénombrés et le tiers des 5 000 habitations a été détruit en tout ou en partie. L’industrie de la pêche a aussi été grandement affectée avec plus de 97 % des bateaux de pêche endommagés.
Une particularité de la catastrophe survenue à Kamaishi est que très peu de pertes humaines ont été comptabilisées chez les plus jeunes, la ville évoquant un taux de survie des mineurs de 99,8 %. De ce constat est née l’expression « Miracle de Kamaishi ». Un état de fait qui est dû, selon les professeurs locaux et le conseil d’éducation de la ville, au programme d’éducation à la prévention des catastrophes lancé quelques années auparavant11 (Birmingham & McNeill, 2012).
En effet, les élèves recevaient en 2011 au minimum trois années de formation au programme préventif et étaient mieux préparés que leurs aînés à affronter une telle catastrophe. Les aléas naturels de la région sont ainsi étudiés dans les programmes d’histoire, de géographie et de physique. Des cours d’« éducation à la survie » sont également dispensés, l’approche de la ville et des professeurs visant à mieux comprendre les aléas naturels de la région et leurs effets dans le but de ne plus les craindre et de vivre avec. Le « miracle » a donc conduit à une large reconnaissance et à un éloge du tsunami tendenko (Kodama, 2015) et des programmes scolaires.
Le Grand Tohoku a confirmé que des séismes de grande ampleur peuvent encore se produire et que la côte japonaise est une zone urbaine vulnérable. En décembre 2013, la loi fondamentale sur la résilience nationale12 (Basic Act for National Resilience) a été adoptée et son article premier indique clairement que l’objectif de cette loi est de développer la résilience du Japon à l’échelle nationale lors de la préparation aux catastrophes13. De son côté, la municipalité de Kamaishi a également revu ses mesures de prévention : renforcement de la résistance des infrastructures, élévation du niveau du sol, déplacement de collèges dans les hauteurs et accroissement des stocks de nourriture et de couvertures d’urgence. Cette ville a même accueilli en septembre 2019 la Coupe du monde de rugby dans un stade flambant neuf de 16 000 spectateurs.
Conclusion
Le « miracle de Kamaishi » n’a rien d’un miracle : il démontre le travail de réflexion à mener avant et après une catastrophe. Certes, il est advenu dans un territoire qui, malgré certaines marques de mal-développement, a pu bénéficier d’une forte mobilisation de l’État, de la population, de la société civile et des entreprises. En outre, la récurrence historique des événements de type « tsunami » s’est traduite par une capacité de réflexion qui a permis de dégager une compréhension de la catastrophe en matière de comportements à adopter. Dès lors, les apprentissages locaux se sont traduits en normes de conduite (à faible coût) qui se sont avérées efficaces et supérieures à des réponses technologiques de pointe. Ce cas spécifique renseigne donc sur l’importance du croisement des savoirs locaux, de la prise en compte des témoignages des personnes qui ont vécu l’expérience d’une catastrophe naturelle, et de la recherche de solutions simples, abordables et réalistes. La reproduction du modèle de Kamaishi demeure toutefois un défi, en particulier dans les territoires fortement désavantagés ou faiblement résilients.
Par ailleurs, observer l’événement-catastrophe du 11 mars 2011 par ses différentes échelles (régionale, locale) permet, entre autres, de mieux comprendre sa nature et certains enjeux d’aménagement du territoire, de gestion des risques et de protection des populations. Grâce au travail d’observation sur le terrain, on se rend également compte qu’à chaque catastrophe, la région de Kamaishi acquiert une expertise de plus en plus pointue en matière de gestion de risques, de relèvement et de résilience. Bien qu’habitués aux catastrophes naturelles, ses habitants ont pu constater que les aléas naturels ne peuvent être considérés comme de simples perturbations ponctuelles : ils sont révélateurs des failles du modèle de développement.
En contexte de fort potentiel de création de richesse, là où la nature présente des facteurs de risques importants, ce modèle mise essentiellement sur l’innovation technologique et fait fi des réalités naturelles. La capacité évolutive de la résilience rencontre des limites dans ce modèle de développement. La région du Tohoku aurait ainsi été très grandement affectée si les réacteurs des deux centrales nucléaires avaient explosé. Il est des situations, générées par des décisions humaines, qui rendent le niveau de vulnérabilité absolu…
Pour conclure, il convient donc de rappeler que la résilience territoriale conduit à poser la question des relations entre les événements-catastrophes, les institutions nationales et internationales, et les populations civiles dans les zones concernées. Elle invite à renouer avec les savoirs locaux, présents et passés, mais aussi à changer « l’esprit du temps » porteur d’un sentiment de dépendance visant l’enrichissement par la croissance économique pour la croissance économique.
Diane Alalouf-Hall, doctorante à l’Université du Québec à Montréal (UQAM)
Chercheure associée à l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaire (OCCAH)
Bibliographie
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Villar, C & B. Guézo, (2017), La résilience des territoires aux catastrophes, Commissariat général au développement durable – Direction de la recherche et de l’innovation.
- Projections issues des rapports du GIEC et de Climeri-France (2019) pour la fin du siècle, par rapport à la période préindustrielle (1850) citées dans « Aide internationale et action humanitaire : une solution face aux risques d’effondrement ? », Médiapart, octobre 2019.
- Conférence de presse du premier anniversaire du Grand Tohoku, mars 2012.
- « Les défis du Japon à la remorque des changements climatiques », Le Devoir, 8 avril 2019.
- Les événements géologiques par exemple sont en quelque sorte les manifestations naturelles sis à la surface du globe terrestre. Leur lien avec les dérèglements climatiques n’a pas été prouvé.
- Selon le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC), les dérèglements climatiques multiplieraient les phénomènes météorologiques, hydrologiques et climatiques extrêmes : cyclones, ouragans, sècheresse, canicule, pluies diluviennes, tempêtes, etc.
- https://www.unops.org/fr/news-and-stories/news/strengthening-resilience-building-back-better
- Pour n’en citer que quelques-unes : le droit des assurances qui permet de déterminer les ressources disponibles pour le recouvrement, le droit international qui influence les réactions aux catastrophes majeures, ou encore le cadre d’action de Hyogo, 2005-2014 (Building the resilience nations and communities to disasters).
- https://fts.unocha.org/global-funding/countries/2011?order=total_funding&sort=desc
- Second Regional Japan Coast Guard Headquarters
- Tendenko en dialecte local signifie « chacun » ou « individuellement » (Yamori, 2014). Cette mesure préventive locale, héritée de génération en génération, encourage à protéger avant tout sa propre vie en retrouvant sans plus attendre ses proches à un endroit identifié préalablement en famille. On ne se cherche pas, on se retrouve directement à ce point de rencontre.
- Les aléas naturels de la région sont étudiés dans les programmes d’histoire, de géographie ou encore de physique. Des cours d’« éducation à la survie » sont également dispensés. L’approche est de mieux comprendre les aléas naturels de la région et leurs effets dans l’optique de ne plus les craindre, mais de vivre avec.
- Pour lire l’intégralité de la loi : http://extwprlegs1.fao.org/docs/pdf/jap158113.pdf.
- Le siège de la promotion de la résilience nationale du Japon, dont le Premier ministre est le directeur général, a été créé sur la base de la loi promulguée en décembre 2013.
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