Auteur(s)
François Grünewald
Préparation et alerte
L’alerte « vigilance rouge » lancée par Météo France pour le vendredi après-midi dans les Alpes-Maritimes annonçait la probabilité élevée de phénomènes climatiques d’intensité exceptionnelle pouvant se révéler dangereux pour la population et les biens matériels. De fait, au niveau de la Préfecture de Nice, la Cellule de crise avait été activée et le message du Préfet à la population était « Protégez-vous ». Or, la concomitance de deux phénomènes – d’une part, la tempête Alex (phénomène climatique particulier dit « bombe climatique », qui se caractérise par des baisses de pression extrêmement fortes, provenant de la Bretagne), et d’autre part une remontée d’air chaud et très humide par le sud – a entraîné un évènement d’une ampleur non prévue. Cet épisode méditerranéen extrême a donné lieu à des précipitations exceptionnelles qui ont dépassé les 540 mm/m2 sur certains bassins versants, alors que sur la côte niçoise, elles n’étaient que de 50 mm/m2. L’eau a très vite ruisselé, et les profils en travers en V aigus des vallées de la zone ont conduit à une crue d’une grande puissance et d’une hauteur considérable dans le fonds des talwegs secondaires, puis des vallées principales. Cette alerte, dont tout le monde a reconnu l’importance, a été indispensable pour amener les acteurs municipaux à relever leur niveau de veille, ce qui a permis de mobiliser les équipes municipales dans la soirée. Toutefois, certaines étaient mieux préparées que d’autres, notamment les communes de la vallée de la Roya qui avaient participé à un exercice de préparation au risque d’inondation quinze jours avant le passage d’Alex. Cet exercice s’était en particulier appuyé sur les cartes des zones inondables produites par le Syndicat Mixte pour les Inondations, l’Aménagement et la Gestion de l’Eau maralpin (SMIAGE) et avait induit la mise en place de cellules de crise dans les mairies de la Vallée de la Roya devant assurer la liaison « mairie-préfecture-département » ainsi que la mobilisation de la Sécurité civile et d’autres services de l’État et des collectivités territoriales. Les témoignages montrent combien cet exercice a été utile dans la Roya alors que les équipes municipales de la Vésubie, comme celle de la commune de Saint-Martin-Vésubie, ont dû faire face à l’évènement extrême avec peu de préparation. Cette préparation avait en effet souligné l’importance de l’établissement de listes d’actions à mettre en œuvre avant et pendant un évènement, et notamment le prépositionnement des moyens dans la zone « à risque » et en dehors dès que l’alerte est donnée, cela afin de ne pas être pris par surprise.
La communication : clé de la réponse
L’immensité des impacts physiques de l’évènement du 2 octobre 2020 est maintenant mieux connue, mais dans les premiers jours la communication a été coupée. C’est alors grâce à des initiatives individuelles, comme celles de personnes empruntant à pied pistes et chemins de montagne pour se rendre dans les villages isolés, que de nombreux contacts ont été rétablis. Une ancienne journaliste vivant à Breil-sur-Roya a par exemple réussi à lancer l’alerte auprès de la communauté des journalistes en montant au sommet d’un col pour se connecter sur Facebook et activer ainsi ses réseaux. Malgré cela, ce manque de télécommunication a été pour beaucoup source d’angoisses puisqu’ils n’arrivaient pas à contacter des proches. La pénétration dans la vallée et ses ramifications est ainsi restée difficile pendant des semaines et des villages sont restés isolés pendant des jours avant d’être rejoints à pied, en 4×4, en tracteur, en quad… Dès les premiers jours, les hélicoptères ont amené des téléphones satellites aux mairies, avec du personnel spécialisé de la Sécurité civile pour animer les Cellules de crise, ce qui a été très apprécié. La téléphonie redevenant opérationnelle, c’est alors une nouvelle phase de communication qui s’est mise en œuvre : celle de la société civile solidaire et de la solidarité citoyenne. Les sites Internet ont fleuri, les groupes WhatsApp, Facebook, etc. se sont multipliés, mobilisant ressources en nature et en argent mais aussi des centaines de volontaires.
La réponse
La solidarité montagnarde, l’entraide entre voisins et la mobilisation des équipes municipales pour s’enquérir du sort des personnes vulnérables et tenter de leur porter secours, ont insufflé une dynamique qui marquera les esprits pour longtemps. L’improvisation, l’ingéniosité et l’habitude de conditions difficiles ont été les ingrédients de la résilience des vallées. Il faut également noter que les personnes âgées, qui représentent une partie importante de la population et impliquent notamment des enjeux médicaux spécifiques (état des stocks de médicaments, énergie pour les structures de soin, etc.), ont été au cœur des préoccupations. D’ailleurs, l’exercice PREDICT (« formation PC de crise ») réalisé dans la Roya, qui avait facilité l’organisation des équipes municipales dès le vendredi soir, avait fait apparaître la vulnérabilité de certains établissements de type EPHAD. Grâce à cela, des évacuations préventives ont eu lieu dans cette vallée le vendredi avant l’arrivée des pluies, ce qui a réduit la tension sur ce secteur de l’assistance aux personnes âgées. On notera que pendant ces heures difficiles, cadres municipaux, équipes des services décentralisés et déconcentrés de l’État, gendarmes et pompiers des casernes municipales ont travaillé ensemble, et même en équipe. Eux aussi ont fait montre d’un remarquable esprit d’entraide et de solidarité avec les habitants et ces territoires dont ils sont généralement originaires.
Dès les premiers jours, la présence de volontaires venus de la France entière a été l’une des clés de la réponse. Déblayant les débris, nettoyant les maisons et installations de la boue, réhabilitant des lieux d’habitation (notamment pour les personnes vulnérables), remettant en état des pistes et des restanques agricoles, ils ont effectué un travail considérable essentiel pour la reprise de la vie. Toute une mécanique d’accueil pour le couchage, l’alimentation et l’organisation du travail de ces volontaires a dû être mise en place très rapidement, impliquant équipes municipales, gens dans le besoin et leaders souvent spontanés au sein des groupes de volontaires. Ces efforts, qui ont continué pendant des mois et se poursuivent encore, associant volontaires et acteurs économiques de toute la région, voire de toute la France, se sont avérés cruciaux pour redonner de l’espoir. Les aides de l’État (Fonds Barnier, aide régionale, etc.) et l’intervention des assurances devront quant à elles apporter un soutien structurant, tant au niveau micro que macro, lui aussi nécessaire à la reconstruction. La mise en place d’un « préfet tempête », haut fonctionnaire dédié à la coordination des secours et de la mobilisation des moyens de l’État au niveau départemental, mais aussi de la Région PACA, a permis de fluidifier l’ensemble des efforts. Enfin, personne n’oubliera la magnifique solidarité des week-ends solidaires qui a permis de drainer tous les week-ends des bras et des cerveaux pour aider les vallées. Des mouvements de volontaires humanitaires qui se sont ensuite mobilisés en Belgique après les grandes inondations du printemps 2021.
Regarder le futur
Les mois écoulés depuis la catastrophe ont fait ressortir des risques anciens liés aux choix de développement de la vallée, mais aussi tous ceux issus de conséquences de la catastrophe, ainsi que des envies, des enjeux et des initiatives. C’est également là où la mobilisation citoyenne va rencontrer ses prochains défis. Car ceux qui se sont mobilisés dans la tempête veulent avoir leur mot à dire sur le futur des vallées et sur le chemin de développement qu’elles emprunteront. Or, les vues divergent au sein de certains conseils municipaux, entre mairies, voire entre mouvements citoyens, entre nouveaux arrivants et anciens, entre réseaux issus de la vallée et mouvements arrivés après la tempête Alex.
Les risques à venir sont en effet inquiétants : la fragilisation globale des pentes, liée à l’affouillage du bas des versants, commence déjà à être observée, et va demander une surveillance accrue. De même, il va falloir encore renforcer le réseau de gauges et de points de repère pouvant être suivis à distance sur l’ensemble du bassin versant, y compris dans les zones des hauts de pente où les indices de cisaillement devront être repérés le plus tôt possible. La réflexion sur l’implantation des nouveaux tracés, la définition des zones constructibles et la préparation des stratégies de protection et de prévention vont également demander des débats qu’il faudra bien informer avec l’apport des sciences (géologie, hydrologie, écologie, urbanisme, économie, etc.).
Enfin, la définition des grandes orientations d’aménagement et du type de développement pour les vallées va devoir impliquer élus et tissu associatif, avec un enjeu de dialogue fondamental. Ceci va demander intelligence collective, acharnement, investissements à moyen et long termes, ainsi qu’une forte dose d’originalité et d’imagination. Si les énergies semblent mobilisées tant chez les élus qu’au sein des associations et des administrations, un important travail de mise en cohérence va néanmoins devoir être réalisé car les agendas ne sont pas toujours complétement compatibles : la mise en marche de la démocratie locale et de l’intelligence collective au service du développement harmonieux et respectueux d’un patrimoine humain et naturel, mais aussi du renforcement de la résilience d’un territoire fragile, sera peut-être l’héritage de la catastrophe du 1er octobre 2020 dans la vallée de la Roya.
François Grünewald est directeur Veille et prospective du Groupe URD
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