Auteur(s)

Dr. Edith Favoreu

En guise d’introduction

Deux idées exprimées à différentes époques guideront nos réflexions :
« Ce que tu fais pour moi mais sans moi, tu le fais contre moi » (Gandhi)
« Aussi local que possible, aussi international que nécessaire » (One Humanity: Shared Responsibility – Report of the Secretary-General for the World Humanitarian Summit; 2016 (A/70/709))

Le concept de renforcement des capacités est à la mode. Thème de nombreuses conférences, au cœur de plusieurs réflexions internes, il met en évidence la tension entre la nécessaire (re)localisation de l’aide et l’indispensable renforcement de l’aide internationale, tension dont les éléments sont eux-mêmes sujets à controverses. Les limites et contraintes d’une aide extérieure sont connues. Parmi elles : la logique de substitution et de dépendance, la déstabilisation des contextes nationaux et locaux, l’instrumentalisation politique ou encore une démarche teintée d’impérialisme. Les limites et contraintes d’une (re)localisation sont elles aussi identifiées : nombre insuffisant d’acteurs, limite de leurs capacités, limite de leurs ressources (notamment financières), corruption, questionnements sur leur neutralité et leur impartialité, interrogations sur la qualité de leur action, sur leur redevabilité, etc. Ces limites souvent réelles servent encore trop souvent à justifier le fait de ne pas donner plus de pouvoir aux acteurs nationaux et celui d’une approche limitée en termes de renforcement des capacités.

Comment dépasser ces tensions conduisant à un débat stérile ? Comment mettre effectivement en œuvre ce que souligne la synthèse du rapport du processus de consultation pour le Sommet humanitaire mondial ? Il mentionne en effet que : « Le leadership et la responsabilité aux niveaux local et national en matière de gestion des crises doivent être renforcés partout où cela est possible, grâce à l’appui d’une coopération régionale renforcée et au soutien des institutions internationales. La mise en œuvre d’un tel transfert devrait être facilitée par l’analyse des capacités opérationnelles locales, par une étude des rôles et des mécanismes de coopération actuels, ainsi que par la création de mécanismes de prises de décision plus inclusifs fondés sur les principes du partenariat » (Synthèse du processus de consultation réalisé en vue du Sommet humanitaire mondial, 2015).

L’objectif de cet article est de revenir de façon synthétique sur le concept de renforcement des capacités afin de mieux mettre en lumière ce qu’une véritable stratégie de renforcement des capacités supposerait pour les acteurs internationaux de l’aide. Sont regroupées sous ce terme outrageusement généralisant les organisations humanitaires internationales, non gouvernementales ou intergouvernementales, et les organisations jouant un rôle dans la réponse humanitaire (organismes étatiques de coopération, bailleurs de fonds, etc.). Le propos n’est pas ici de porter un jugement sur ce qui se fait ou non, mais de délimiter les contours de ce qui pourrait se faire, depuis la perspective des acteurs internationaux.

 

Clarifications terminologiques et conceptuelles

De quoi parlons-nous ? Le concept de renforcement des capacités, tentative de clarification

Le renforcement des capacités « désigne habituellement le processus de création et de développement des capacités, ainsi que l’usage, la gestion et la préservation qui en découlent. C’est un processus endogène qui part des capacités nationales existantes » (PNUD, 2008).

Nous entendrons ici le renforcement des capacités comme un processus par lequel les individus et/ou les groupements développent leurs aptitudes à prendre des décisions, à exercer des fonctions, à résoudre des problèmes, à fixer et atteindre des objectifs, et ce de manière autonome et responsable. Renforcer les capacités, c’est donc travailler au niveau du pouvoir d’agir. Cela présuppose une démarche bilatérale, fondée sur un processus mutuel : pour les acteurs1 eux-mêmes il s’agit de développer un véritable pouvoir de décision ; pour les autres protagonistes, il convient de respecter ce pouvoir de décision comme valide et effectif. Cela n’exclut en rien la critique et/ou la contradiction mais garantit le respect des positions prises.

Le renforcement des capacités a indéniablement trait à la notion de capacité mais il se réfère aussi incontestablement à celle de « capabilité ». Conceptualisé par Amartya Sen, ce concept désigne « un ensemble de vecteurs de fonctionnements, qui reflètent la liberté dont dispose actuellement la personne pour mener un type de vie ou un autre » (1992). Il s’agit donc de conditions personnelles, culturelles et environnementales qui vont permettre l’exercice réel des capacités, à un moment donné, dans un environnement spécifique.

Parler des capacités et capabilités tant au niveau individuel que collectif signifie que les personnes et organisations puissent jouir d’un certain nombre de conditions. Ils doivent :

  • Avoir confiance pour agir et prendre des décisions qui engagent leur avenir et dont ils se responsabilisent. La confiance est un des éléments centraux de la notion de « pouvoir intérieur », intrinsèquement liée à l’estime de soi.
  • Disposer des savoirs nécessaires (savoir, savoir-faire, savoir analytique et savoir-être) et des ressources physiques, matérielles et financières, afin de « faire » et « avoir ». Ces éléments sont des conditions pour mettre en œuvre leur « pouvoir de ».
  • Avoir accès à des espaces, concrets ou abstraits (physiques, temporels, symboliques, etc.) au sein desquels, avec d’autres, elles peuvent se mobiliser et s’organiser pour atteindre des objectifs communs. Personnes et organisations peuvent alors développer leur « pouvoir avec ».
  • Bénéficier d’un environnement « capacitant » ouvert à ce changement, où chaque pouvoir peut être accueilli, peut-être favorisé, en tout cas reconnu voire intégré.

C’est seulement si ces différentes conditions cumulatives existent que personnes et organisations auront un pouvoir « sur » leur réalité. Ainsi, le renforcement des capacités n’est ni une activité accessoire, ni un effet collatéral d’un projet ou d’une activité. Il répond à une stratégie complexe, où le processus est aussi important, si ce n’est plus, que le résultat.

Dans le secteur humanitaire, cette notion de renforcement des capacités est apparue depuis deux décennies, visant l’appropriation par les acteurs nationaux et locaux des mécanismes d’intervention et des actions qui leur sont destinés. Cette notion a ensuite été corrélée au développement du continuum urgence et développement et s’ancre aujourd’hui dans le concept de résilience.

Le renforcement des capacités se rapporte également aux concepts d’empowerment et de participation, ainsi qu’à celui d’autosuffisance, ce dernier étant entendu dans le sens de la sustainibility (assimilée à l’autonomisation de la continuité d’une action, d’un processus et/ou d’un produit), au-delà de la simple durability (assimilée continuité). Il s’articule autour de la notion de prise de décision, processus permettant à une organisation de se doter des moyens nécessaires à son autonomie. Le concept de renforcement des capacités est aussi rattaché à l’idée de responsabilité première des États dans les crises qui touchent leur pays, participant ainsi de la reconnaissance et de la volonté de renforcer les autorités, les organisations de la société civile et les populations elles-mêmes dans leur capacité d’être les premiers acteurs de l’aide. En outre, un autre lien peut être établi avec la pratique croissante du management à distance2, notamment dans les situations de conflit où l’accès est impossible, limité ou trop risqué. Enfin, il est attaché à la notion de partenariat qui exprime une relation dynamique, notamment basée sur l’avantage comparatif et le bénéfice mutuel, comprenant le respect mutuel, la participation égale à la prise de décision et à la prise de risques, tout en partageant une transparence et une redevabilité mutuelle (Brinkerhoff, 2002).

Enfin, elle renvoie à deux logiques connexes : renforcer les acteurs et aider les acteurs à se renforcer.

La nécessaire déconstruction du terme « local » au profit du terme national

Les discours actuels focalisent leur attention sur le renforcement des capacités locales. Or, le local ne peut être opposé à l’international. En effet, le local s’oppose au global et le national à l’international. Si le concept de nation est sujet à controverse, l’adjectif national semble pourtant pertinent pour différencier les niveaux internationaux et locaux.

De plus, le « local » s’appréhende par rapport à une centralité ou tout au moins en relation à une échelle plus grande, souvent jugée plus importante, qui tend à reléguer le « local » dans un rôle subalterne. Aussi, le « local » semble n’exister que par la délimitation d’un espace plus large, par exemple régional et/ou national. Il caractérise alors un échelon dans lequel l’espace territorial est restreint et présente souvent une certaine homogénéité culturelle et/ou linguistique, voire organisationnelle.

Dans le champ sémantique de l’aide internationale, qu’elle soit qualifiée d’humanitaire ou de développement, le qualificatif de « locaux » fait référence aux acteurs des pays d’intervention dès lors qu’ils n’appartiennent pas à la sphère occidentale. Cet ethnocentrisme déguisé participe pourtant d’une relégation de l’autre – cet être semblable mais différent – dont la différence justifie trop souvent une vision entachée de paternalisme. Rattaché au référent du développement participatif et communautaire (concept de « développement local »), le terme « local » n’en est pas moins culturellement ancré et porteur d’une vision historique hiérarchisée de la coopération internationale.

Par conséquent, en lieu et place du terme « acteurs locaux », c’est le terme « acteurs nationaux » qui sera utilisé dans ce texte. Le concept de local n’est toutefois pas à balayer car, comme mentionné plus haut, il exprime un niveau infranational territorialisé à une localité spécifique.

Renforcer et non construire : le changement passe aussi par la déconstruction sémantique

Le pouvoir des mots n’est plus à démontrer. Les mots ne sont pas neutres. Ils expriment des idées et l’éventail terminologique démontre que chaque mot revêt une signification propre, étant porteur d’une représentation spécifique. Pour autant, nous adhérons à l’idée qu’il ne suffit pas de changer les mots pour transformer les réalités, même si les changements de paradigmes impliquent bel et bien un changement de terminologie.

Si le français nous évite une clarification conceptuelle, l’anglais nous invite à la vigilance. Il est en effet grand temps de se départir de la mention « capacity building » pour lui préférer la notion de « capacity strenghtening ». En effet, l’idée de « construction des capacités » porte intrinsèquement l’empreinte de l’européocentrisme et du colonialisme. Dans cette conception, les capacités seraient inexistantes et mériteraient donc d’être construites. Quelle méprise à l’heure où nous parlons de la reconnaissance des mécanismes existants au sein des communautés pour faire face aux enjeux actuels de leur réalité ! Chaque communauté est experte de sa réalité et recèle des capacités à différents niveaux ainsi que des mécanismes de résilience.

Le renforcement des capacités combine dès lors plusieurs dimensions : de nouvelles capacités à développer ; des capacités existantes à renforcer ; des capacités existantes à reconnaître et valider ; un environnement interne et externe favorable à la mise en œuvre de ces dernières.

Qui renforcer ?

Le concept d’acteur national/local est un concept fluide et une notion contextuelle (Ropstroff, 2016). Nous le considérerons ici comme regroupant des organisations plus ou moins formelles, actrices d’une société donnée, qu’elles appartiennent au secteur public (État, autorités nationales et locales, services publics, etc.) ou au secteur privé. Au niveau du secteur privé, une distinction doit être faite entre le secteur à but lucratif (business sector) et celui à but non lucratif que nous regrouperons sous le label de société civile.

Les acteurs de la société civile, agents phares dans le domaine de l’aide, partagent des caractéristiques communes avec les acteurs traditionnels de l’humanitaire. Il s’agit aussi bien souvent d’initiatives citoyennes fondées sur l’intérêt général ou collectif, non gouvernementales et non lucratives.

Ces organisations sont les interlocuteurs privilégiés mais non exclusifs des acteurs internationaux. Notons que philosophiquement, c’est la population elle-même et dans son ensemble qui doit être renforcée. Ce faisant, elle doit être appréhendée dans toute sa diversité (géographique, de genre, d’âge, culturelle, ethnique, religieuse, etc). Il est ici essentiel de souligner l’importance à accorder aux populations vulnérables, quels que soient les éléments de cette vulnérabilité. Dans ce cadre, l’identification des leaders et/ou représentants va être tout autant nécessaire que sensible.

Renforcer les acteurs nationaux ? Changements de paradigmes, acceptations et renoncements

Il aurait été intéressant de présenter les besoins des acteurs nationaux en termes de renforcement des capacités et les différentes modalités de ce processus de renforcement. Pourtant, nous nous bornerons ici à exposer la perspective des organisations internationales. Deux propos liminaires s’imposent. Tout d’abord, rappelons le manque d’acteurs (en nombre, capacités, etc.) pour répondre aux besoins croissants des populations à risque. Le renforcement des capacités est donc un des éléments de réponse à ce manque, complémentaire d’autres mécanismes. Ensuite, il est important de préciser que mettre l’accent sur le renforcement des capacités ne signifie pas à court terme renoncer à l’action directe : les approches doivent être additionnelles afin de répondre de manière optimale et multidimensionnelle aux besoins du présent et du futur.

Nous nous intéresserons ici à la démarche que devraient entreprendre les acteurs humanitaires internationaux s’ils s’engageaient dans une véritable approche de renforcement des capacités. Elle se scindera en trois temps complémentaires : l’analyse, la définition d’options et le changement interne aux acteurs internationaux.

L’analyse. L’improvisation ne se révèle ni pertinente ni effective. Une véritable analyse multidimensionnelle est requise et elle nécessite :

  • Une cartographie d’acteurs incluant les pourvoyeurs nationaux de formations ;
  • Une analyse des capacités existantes des acteurs nationaux, de leurs besoins, de leurs barrières et de leurs enjeux ;
  • Une évaluation des besoins en termes de renforcement de compétences, tant au niveau individuel que collectif ;
  • Une évaluation des capacités propres des acteurs internationaux pour renforcer d’autres acteurs
  • Une évaluation des pratiques existantes
  • Une identification des leçons apprises au travers des meilleures pratiques et des moins bonnes ;
  • Une capitalisation d’expérience incluant une analyse des processus.

La définition d’options. Il importe de définir à quel niveau une organisation veut/peut agir :

  • Niveau organisationnel : renforcement institutionnel, appui technique, soutien managérial, etc.
  • Niveau individuel : formation, coaching, mentoring, échanges de pratique, etc.
  • Niveau inter-organisationnel : réseaux, partenariats, etc.
  • Niveau des ressources : ressources directes, favoriser l’accès aux bailleurs, etc.

La diversité des approches, potentiellement portée par différentes organisations, est intéressante afin de répondre aux besoins des différents niveaux. Pourtant, si les actions ne sont pas coordonnées, voire collectivement définies, cette diversité peut être potentiellement néfaste, aboutissant à des démarches contradictoires ou en tensions pour l’organisation « renforcée ».

Le changement au sein des organisations. Pour les acteurs internationaux, renforcer les compétences d’autres acteurs nationaux induit de travailler autour d’approches positives (à faire) autant que négatives (renoncer/limiter) mais aussi sur des dynamiques de changement (modus operandi) ainsi qu’un certain « lâcher prise » quant aux résultats de ce processus (accepter de…).

Ainsi, les organisations internationales ont un travail préalable à réaliser pour se renforcer elles-mêmes tant au niveau technique qu’en termes de processus et ressources. Par exemple :

  • Avoir une bonne analyse de l’organisation et de son potentiel : être très au clair sur les capacités de l’organisation à renforcer les capacités des autres. Les ressources humaines adéquates sont-elles disponibles ? Par exemple : ces personnes nouvelles ou reconverties sont-elles suffisamment formées à l’accompagnement, au transfert de compétences et à la contextualisation ? En plus ou au lieu d’être des experts (techniciens ou généralistes), sont-elles des formateurs, mentors, coachs ?
  • Développer des mécanismes et des outils d’analyse des besoins individuels et organisationnels adaptés ;
  • Développer des processus et outils pour le renforcement des réseaux ;
  • Développer des mécanismes de suivi et évaluation spécifiques au renforcement des capacités ;
  • Développer des dispositifs simplifiés de capitalisation d’expérience et de partage d’expérience, tant au niveau des processus que des résultats et effets ;
  • Trouver et/ou dédier des ressources spécifiques au renforcement des capacités.

Les acteurs internationaux devraient aussi accepter de reconsidérer un certain nombre d’éléments, et de limiter par exemple :

  • Leur pouvoir décisionnel ;
  • Les opérations directes au profit d’actions de support ;
  • L’accès direct aux populations, voire la relation directe avec les autorités ou tout autre type d’acteurs.

Les acteurs internationaux doivent également accepter que, même si transmis, leurs principes et approches peuvent être interprétés, contextualisés et peut-être modifiés. Ils doivent donc opérer certains changements dans leur modus operandi, comme par exemple :

  • Redéfinir l’approche partenariale dans le sens d’un véritable partenariat équilibré ;
  • Développer un plaidoyer auprès des bailleurs de fonds pour une redéfinition de l’architecture du financement.

Enfin, avec une véritable démarche de renforcement des capacités, les acteurs internationaux doivent accepter un certain lâcher prise, notamment pour :

  • Transférer le pouvoir décisionnel ou a minima mettre en place un pouvoir co-décisionnel ;
  • Réduire leur accès aux ressources et leur accès privilégié aux bailleurs ;
  • Que les principes humanitaires puissent être discutés, challengés, voire questionnés, au niveau des acteurs nationaux ;
  • Que les acteurs nationaux créent de nouvelles manières d’agir, et ce dans les différentes phases de réponses à des crises ;
  • Mettre en place des indicateurs de décroissance (décroissance opérationnelle, financière, en ressources humaines, etc.) comme indicateurs de performance et de renforcement des capacités nationales ;
  • Se repositionner ;
  • Transformer dans une certaine mesure leur raison d’être, notamment pour les organisations traditionnellement opérationnelles.

Donner corps au renforcement des capacités n’est donc pas un mantra vain de toute conséquence. Il suppose pour les acteurs internationaux qui privilégient cette approche de réinterroger leur organisation, et notamment leur culture institutionnelle et leur logique fonctionnelle.

Les organisations sont-elles disposées à et en mesure de renforcer les capacités nationales ?

Que les organisations prennent cette option comme un postulat général ou un élément transversal de leur approche, ou encore un moyen spécifique dans un programme donné, ces choix doivent être reflétés dans les stratégies (institutionnelles et opérationnelles), programmes, projets et activités.

Ce changement dans la culture organisationnelle devrait se faire autour d’une analyse spécifique et décloisonnée. Il s’agit notamment de répondre à deux questions :

  • Avons-nous la capacité d’analyse nécessaire pour contextualiser nos approches ? Cela revient à s’interroger sur les opportunités et faiblesses d’un processus de renforcement des capacités en fonction du contexte : État fragile/État fort ; contexte de conflit/contexte vulnérable aux désastres/contexte complexe ; phase d’urgence/réhabilitation-reconstruction/développement, etc. Les approches différenciées doivent être privilégiées afin de saisir la complexité inhérente aux différents types de crises et de pouvoir y répondre de manière créative et qualitative.
  • Sommes-nous prêts à accepter les risques, voire les dérives, d’un changement de pouvoir ? Cela revient à développer une véritable réflexion interne sur les approches différenciées afin de trouver un équilibre entre renforcement des capacités, localisation de l’aide et garantie d’une réponse de qualité basée sur les principes humanitaires.

Dans cette démarche, l’innovation est prépondérante, présupposant une certaine prise de risques. La réalisation de tests est importante, constituant une véritable source d’apprentissage et une possibilité de réadaptation rapide. Le renforcement des capacités est en effet un processus d’apprentissage, non seulement pour l’organisation « renforcée » mais aussi pour l’organisation « qui renforce » : les deux deviennent des organisations apprenantes et se renforcent mutuellement. Par ailleurs, le renforcement des capacités, en tant que vecteur d’apprentissage réflexif continuel, suppose un droit à l’erreur. Celui-ci doit toutefois être corrélé à un dispositif éthique afin que la flexibilité du cadre ne se fasse pas au détriment de la sécurité et du bien-être des populations.

Le processus de renforcement des capacités, souvent vu comme bilatéral – « acteur national/acteur international » – devrait être appréhendé de manière systémique. C’est en effet l’opportunité de développer un véritable système dans lequel le renforcement sud-sud, le renforcement des organisations de formations nationales, le renforcement de la recherche nationale et le renforcement des réseaux d’acteurs nationaux sont des pierres angulaires de la durabilité et de l’autosuffisance.

 

Conclusion

« Aussi local que possible, aussi international que nécessaire ». Exprimée aujourd’hui comme une nouveauté, la tendance visant à renforcer les capacités nationales – en lien avec celle de la relocalisation de l’aide – répond à un processus exigeant qui ne peut être improvisé. Pour réaliser et optimiser ce processus, il est important d’entreprendre des actions à moyen et long termes tout en opérant un véritable investissement pour mieux se désinvestir. Ce processus ne présuppose pas l’exclusion d’autres modalités opérationnelles. Il doit être perçu comme complémentaire. En outre, il ne doit pas conduire à un désengagement de la part des acteurs humanitaires internationaux mais plutôt à un réaménagement des actions.

« Shifting of power… ». Un renversement des pouvoirs entre acteurs nationaux et locaux ne doit pas être idéalisé. Mais ne pas idéaliser ne signifie pas pour autant ne pas essayer. Le déficit d’accès aux populations, le caractère limité des réponses humanitaires, les effets potentiellement négatifs de l’aide internationale sur les contextes mais aussi l’impérative nécessité d’investir dans la prévention et la préparation aux désastres, appellent unanimement une réponse collective, nationalement ancrée et internationalement aidée.

 

Dr. Edith Favoreu : Directrice adjointe et responsable des enseignements, CERAH (Centre d’enseignement et de Recherche en Action Humanitaire)-Genève.

Les idées et opinions émises dans cet article d’opinion n’engagent que la responsabilité de son auteur et ne reflètent en aucun cas celles du CERAH..

  1. L’auteur s’est efforcé de recourir à des vocables ou à des expressions neutres se rapportant à la fois aux genres féminin et masculin. Cette règle a été appliquée là où cela était possible sans alourdir le texte. Pour ne pas alourdir, le texte nous parlerons donc ici d’acteurs en lieu et place d’acteurs et actrices.
  2. Remote control/remote management/remote support/remote partnership

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