Auteur(s)
Kirsten Hagon
Dans le cadre du Grand Bargain, bailleurs et acteurs humanitaires internationaux (agences des Nations unies, ONG, FICR et CICR) ont reconnu que :
Les intervenants nationaux et locaux, qui comprennent les gouvernements, les communautés, les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et la société civile locale, sont souvent les premiers à répondre aux crises et demeurent auprès des communautés qu’ils assistent avant, après et durant les urgences.
Ils se sont également engagés à…
Rendre l’action humanitaire, dans le respect de ses principes fondateurs, aussi locale que possible et aussi internationale que nécessaire en reconnaissant que les acteurs humanitaires internationaux jouent un rôle vital, en particulier dans les situations de conflit armé. [Ils s’engagent] aux côtés des intervenants locaux et nationaux dans un esprit de partenariat et cherchent à renforcer les capacités locales et nationales plutôt qu’à les remplacer.
Il convient donc à présent d’apporter des changements significatifs (mais pas insurmontables) à la manière dont nous travaillons tous, afin d’aligner la pratique sur la rhétorique.
La localisation, mais pourquoi ?
Les acteurs locaux et nationaux sont cruciaux dans une réponse humanitaire. Ils sont sur place avant l’arrivée de tous les acteurs internationaux et longtemps après que ces derniers ne partent. L’action locale n’est pas un « supplément d’âme » pour une opération d’urgence ou une considération de deuxième ordre en matière d’aide humanitaire : c’est un outil clé pour les actions qui sauvent des vies et même plus encore, pour prévenir des crises là où cela est possible. La réalité est la suivante : la grande majorité des crises ne reçoivent aucun soutien ou aucune attention international(e). Dans ces situations, les actions locales menées par des acteurs locaux, ancrées dans la communauté et composées de membres de celle-ci, sauvent des vies et aident les personnes à préparer et reconstruire, encore et encore. Dans les crises qui reçoivent au contraire soutien et attention de la part de la communauté internationale, l’assistance est souvent « étiquetée » comme internationale, mais ce sont en réalité les acteurs locaux et nationaux qui font le travail.
L’action humanitaire locale est au cœur du modèle de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge de l’action humanitaire. Les volontaires des Sociétés nationales sont présents dans les communautés du monde entier, travaillant au sein de la communauté pour la communauté, avant, durant et après les crises. La FICR a été mise en place pour soutenir, coordonner et représenter ces acteurs. C’est pour cette raison que nous avons endossé le rôle, aux côtés du gouvernement suisse, de co-président du Groupe de travail du Grand Bargain sur l’amélioration du soutien et des outils de financement aux intervenants locaux et nationaux.
Sur le plan théorique, la communauté humanitaire internationale a reconnu depuis longtemps les avantages comparatifs spécifiques des acteurs humanitaires locaux tout en reconnaissant dans le même temps la valeur complémentaire des acteurs internationaux. Il est ainsi largement admis que les acteurs locaux sont rapides parce qu’ils sont proches de la crise, qu’ils ont souvent accès à des zones qu’aucun acteur international ne peut atteindre et qu’ils ont une excellente compréhension de la situation locale, ainsi que de la vie politique et de la culture. Nous savons également que les acteurs locaux sont bien placés pour faire le lien entre préparation, réponse et relèvement à long terme, c’est-à-dire faire de la résilience une réalité. Les avantages liés au fait de soutenir et renforcer les capacités locales, plutôt que de les tenir à l’écart, sont reconnus dans beaucoup de nos textes normatifs fondamentaux et lignes directrices, depuis la Résolution 46/182 (1991) de l’Assemblée générale des Nations unies jusqu’au Code de conduite CR/CR ONG de 1994, en passant par les Principes de la Good Humanitarian Donorship de 2003.
Une forte dynamique pour faire progresser un vieux sujet
Malgré toute cette reconnaissance théorique, les acteurs locaux – bien qu’ils jouent un rôle important à l’heure actuelle – ne bénéficient pas du soutien dont ils ont besoin pour réaliser leur plein potentiel et maximiser l’efficacité de la réponse humanitaire. La machine humanitaire internationale arrive sur une crise à toute vitesse et néglige ou, souvent même, contrecarre les capacités locales. Les priorités de financement sont dramatiquement biaisées, les partenariats sont très inégaux, et les investissements dans les capacités restent très modestes. Nous pouvons et devons faire mieux. C’est en cela que l’engagement du Grand Bargain vis-à-vis de la localisation – « rendre l’action humanitaire, dans le respect de ses principes fondateurs, aussi locale que possible » – est si important.
Les signataires du Grand Bargain se sont mis d’accord pour plus de soutien aux acteurs locaux et nationaux grâce à des engagements spécifiques dans les domaines du financement, de la coordination, du partenariat et du renforcement des capacités. Voir le schéma ci-dessous :
Il s’agit là des engagements individuels de chaque signataire, mais ils seront difficiles à atteindre de façon cloisonnée. Si les bailleurs continuent à tenir les partenaires internationaux directement responsables des résultats jusque dans les moindres détails, alors ces acteurs internationaux ne pourront que difficilement signer des accords flexibles avec des acteurs locaux. De même, si les acteurs internationaux ne coopèrent pas pour promouvoir le rôle des acteurs locaux, les bailleurs auront de leur côté des problèmes pour identifier et soutenir les partenaires les plus forts et les plus efficaces. Enfin, si les acteurs locaux eux-mêmes ne sont pas intégrés à la discussion, ils continueront à être l’objet du débat plutôt que l’un de ses principaux protagonistes.
Le rôle du Groupe de travail
Nous envisageons le rôle du Groupe de travail 2 du Grand Bargain portant sur l’amélioration du soutien et des outils de financement aux intervenants locaux et nationaux comme un moyen permettant aux signataires de travailler ensemble à combler les éventuelles lacunes. Son objectif est de faciliter la mise en œuvre des engagements, notamment en facilitant un accord sur des approches et des termes communs, en diffusant les bonnes pratiques et en développant des outils de façon collaborative. Nous voulons également garantir la transparence des activités du Groupe de travail et nous assurer que les voix des acteurs locaux sont bien entendues et capables d’influencer les discussions, non seulement au sein du Groupe, mais aussi au sein d’autres Groupes de travail du Grand Bargain.
Faciliter les échanges
Le sujet de la localisation fait l’objet d’un fort intérêt partout dans le monde. Nous connaissons l’existence d’un certain nombre d’initiatives à l’échelle nationale visant à entretenir des discussions nationales sur la signification de la localisation dans son contexte, mais aussi sur les changements que ces acteurs aimeraient voir en termes d’amélioration du soutien aux acteurs humanitaires locaux et nationaux. Dans le même temps, plusieurs projets de recherche d’échelle nationale et régionale ont interrogé cette notion (voir, par exemple, l’étude réalisée par la Croix-Rouge australienne : https://www.redcross.org.au/getmedia/fa37f8eb-51e7-4ecd-ba2f-d1587574d6d5/ARC-Localisation-report-Electronic-301017.pdf.aspx). Le Groupe de travail a organisé 3 réunions multi-parties prenantes de niveau international en 2016 et 2017 afin d’explorer ce à quoi la localisation peut et devrait ressembler, comment avancer au niveau de la mise en œuvre et ce qu’elle signifie tout particulièrement pour les acteurs locaux (en leur fournissant une plateforme leur permettant de faire remonter leurs suggestions et inquiétudes aux signataires).
Le défi actuel consiste à connecter entre elles toutes ces discussions – nationales, régionales et internationales – en s’assurant que toute initiative connaît l’existence des autres et peut l’influencer.
Par ailleurs, le Groupe de travail a également approuvé l’intégration d’acteurs locaux représentatifs lors de téléconférences régulières et espère les inclure dans toutes les activités prévues dans le cadre du plan de travail. Le Groupe de travail veut également organiser plusieurs webinars, ouverts à tous les acteurs disposant d’une connexion Internet, afin d’informer les parties prenantes qui, dans le monde entier, s’intéressent à ce qui se passe au niveau mondial, mais aussi afin d’inviter ceux qui se sont engagés sur ce sujet à partager leurs actions et opinions via le site Internet (en cours de développement). La question des langues utilisées va être centrale et un problème à résoudre au vu des ressources dont nous disposons : il faudra donc recourir à des solutions innovantes.
Clarifier les engagements
L’un des engagements les plus importants du Grand Bargain est d’atteindre, d’ici 2020, une cible mondiale et agrégée d’au moins 25 % de financement humanitaire à destination des intervenants locaux et nationaux, de façon aussi directe que possible. Toutefois, le texte n’explique pas précisément ce que signifie « aussi directement que possible » en termes de financement, ni ce qui est considéré comme un « acteur local ou national ». Intervenant en appui au Groupe de travail, l’équipe Financement humanitaire du IASC a mis en place un groupe de réflexion qui étudie cette question en interrogeant un grand nombre de parties prenantes (y compris de nombreux acteurs locaux et nationaux) pour développer les définitions proposées. Toutes les définitions choisies ayant des implications sur ce à quoi s’engagent les signataires, il était en effet essentiel que tous les signataires soient d’accord sur les définitions.
Après d’importantes discussions, une définition des acteurs locaux et nationaux a été validée et il a été décidé de suivre les financements qui vont directement des bailleurs aux acteurs locaux et nationaux, mais aussi ceux qui passent par des fonds communs et ceux qui passent par un intermédiaire, avant de prendre une décision finale sur le fait de considérer comme aussi direct que possible la présence d’un intermédiaire.
Les bonnes pratiques en matière de mise en œuvre
Nous observons déjà quelques bonnes pratiques innovantes de la part de divers signataires du Grand Bargain.
Par exemple, des progrès ont été faits au niveau de l’accessibilité des fonds communs aux acteurs locaux et nationaux, et du soutien au renforcement des capacités. Un certain nombre de fonds communs gérés pays par pays par les Nations unies ont des guichets spécifiques pour les acteurs locaux et nationaux. Ainsi, il existe au Nigeria un guichet spécifique pour le renforcement des capacités. Le réseau START, où collaborent des ONG internationales et nationales, a développé ses propres fonds communs et une discussion est en cours sur un fonds commun géré par les ONG nationales. La FICR et le CICR ont également mis en place une nouvelle Alliance d’investissement pour les Sociétés nationales (National Society Investment Alliance) dédiée au renforcement à long terme des capacités institutionnelles des Sociétés nationales.
Un certain nombre d’initiatives ont été lancées par des structures de coordination humanitaire au niveau mondial et sur le terrain, mais aussi des initiatives visant au renforcement de la coopération avec les acteurs gouvernementaux. Le Groupe de coordination du Cluster Global (dont l’acronyme est GCCG en anglais) comprend un groupe de travail sur la localisation qui développe des approches concrètes visant à renforcer la participation des acteurs des sociétés civiles nationales à la coordination et à renforcer la collaboration avec les autorités nationales. De son côté, l’UNICEF a recruté un référent localisation dédié pour soutenir les Clusters et sous-Clusters qu’elle anime dans l’amélioration de leur travail avec les acteurs locaux.
Dans le cadre de la réponse humanitaire en Turquie à la crise syrienne, OCHA dispose de personnel dédié pour travailler sur le renforcement de la participation des ONG locales à la coordination et à la réponse. Cette équipe est venue appuyer les ONG syriennes pour faciliter leur familiarité avec la coordination humanitaire et ses différents mécanismes comme les Clusters et le HCT (Equipe humanitaire pays), mais aussi les principes humanitaires. Elle a également soutenu la mise en place d’un forum des ONG syriennes pour promouvoir la coordination entre ONG syriennes ainsi qu’avec des structures comme le HCT. Ce travail de sensibilisation des coordinateurs Clusters et d’OCHA auprès des ONG syriennes a permis un fort niveau de participation dans la coordination, y compris le co-leadership de trois Clusters par des ONG nationales. Les réunions des Clusters se déroulent en arabe ou sont traduites en utilisant du matériel d’interprétation acheté par OCHA et mis à disposition pour tous les Clusters.
De même, un certain nombre de gouvernements nationaux ont mis en œuvre des lois relatives aux catastrophes de manière à faciliter l’aide internationale, et à clarifier les structures et processus de coordination. Cette année marque le 10e anniversaire des Guidelines for the Domestic Facilitation and Regulation of International Disaster Relief and Initial Recovery Assistance, qui a déjà inspiré de nouvelles lois et procédures dans 30 pays. Les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et Croissant-Rouge proposent actuellement du soutien à leurs autorités en développant des lois et procédures similaires dans 45 pays.
Regarder de l’avant – collecter les bonnes pratiques et développer des directives
Le plan de travail du Groupe de travail vise à identifier et collecter les bonnes pratiques pour les partager. Le Groupe de travail a soutenu une mission inter-agences portant sur la localisation à Gaziantep (Turquie) pour collecter les bonnes pratiques, mission suivie d’un webinar organisé pour discuter des résultats. De nouvelles missions du même type sont prévues. Le Groupe de travail espère ainsi identifier des « pays à valeur d’exemple » et commencer à sensibiliser les acteurs locaux, dont les gouvernements, notamment grâce à des réunions régionales. L’objectif du Groupe de travail est enfin de coordonner le partage d’expériences et les recherches afin de parvenir à une compréhension commune de la meilleure manière d’atteindre les objectifs de localisation, mais aussi afin de soutenir le développement collaboratif de directives portant sur les modalités de mise en œuvre des engagements.
Kirsten Hagon
Senior Analyst, Humanitarian Policy
International Federation of Red Cross and Red Crescent Societies
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p. 28-31