Auteur(s)
Olivier Sarrat
L’apport des systèmes de gestion de l’information dans l’adoption d’une démarche Qualité
Des difficultés spécifiques pour la mise en œuvre de démarches Qualité
Dans le secteur de l’aide internationale, contrairement au secteur marchand, la Qualité reste une responsabilité éthique des acteurs, et non une obligation, car les « clients » – c’est-à-dire les bénéficiaires de cette aide – ne peuvent exercer que peu de contrôle sur les organisations. Une spécificité qui explique certainement pourquoi le secteur peine autant à évoluer sur le sujet de la qualité…
Par ailleurs, il faut reconnaître que la diversité et la complexité des contextes humanitaires constituent une difficulté de taille pour assurer la qualité des programmes. Ainsi, un bon projet dans un contexte donné pourra avoir des conséquences désastreuses dans un autre contexte si bien que chaque contexte avec ses contraintes et ses opportunités doit conduire à l’élaboration de programmes spécifiques.
De ce fait, de nombreuses initiatives ont vu le jour pour améliorer la qualité de l’aide, donnant lieu au développement de multiples standards pour le secteur, ainsi qu’à l’élaboration de « bonnes pratiques » ou à la création de méthode d’assurance Qualité. Dans le même temps, une culture de l’évaluation a émergé dans le secteur.
Malgré tout, après plus d’une décennie de tentatives en tous genres, les acteurs de l’aide éprouvent toujours d’importantes difficultés pour intégrer dans leur pratique quotidienne les principes de démarches Qualité. On peut citer plusieurs raisons à cela :
- Le cœur des enjeux de Qualité se situe sur le terrain, au niveau des projets. C’est en effet au contact des populations qu’une gestion en Qualité des projets aura un réel impact sur les résultats produits et pourra s’adapter à la diversité des contextes. Or, l’adoption d’une démarche Qualité doit nécessairement se penser au niveau de l’organisation complète pour permettre un apprentissage collectif, une reproduction de la performance et une amélioration continue. Il en résulte un enjeu de centralisation dans des structures par nature extrêmement décentralisées.
- Les équipes sur le terrain sont soumises à une très forte pression en termes de charge de travail : elles ne peuvent gérer le quotidien de leur projet et gérer en parallèle une importante documentation liée au respect de la démarche Qualité de leur organisation. Si la gestion de la Qualité est perçue par les équipes comme une dose substantielle de travail supplémentaire, elle risque d’être rejetée.
- La diversité des organisations humanitaires est extrêmement importante. Quand une organisation cherche à adopter une démarche Qualité, elle doit donc procéder à de nécessaires adaptations car l’application mécanique de référentiels développés pour le secteur aboutit bien souvent à des échecs et risque de créer des frustrations.
- La plupart des organisations humanitaires souffrent d’un excès d’informations dont elles gèrent difficilement les flux et le stockage, certaines parlant même « d’infoxication ». Or, non seulement cette désorganisation plus ou moins importante génère une perte d’efficience, mais la difficulté à trouver facilement la bonne information réduit la capacité des organisations à exploiter les leçons apprises, sapant ainsi le cycle de l’amélioration continue à la base de toute véritable démarche Qualité.
Pour le secteur de l’aide internationale, il s’agit par conséquent de lever ces difficultés de mise en œuvre concrète en matière d’adoption de démarches Qualité formelles.
Le renforcement des principes de Qualité & Redevabilité (Q&R) à travers un système d’information
L’utilisation d’un système d’enregistrement adapté peut lever certaines des contraintes évoquées ci-dessus en changeant la perspective sur la problématique de l’information. Pour cela, il faut cependant intégrer plusieurs principes tirés de la connaissance et de l’expérience des organisations humanitaires, notamment au niveau des contraintes du terrain.
Enregistrement de l’information et redevabilité
La représentation traditionnelle d’un système de gestion de la Qualité est une pyramide (cf page 33) dotée d’une politique Qualité à son sommet et de la question de l’enregistrement des actions et de la gestion de l’information à sa base.
Toute démarche Qualité implique en effet nécessairement une activité d’enregistrement en « bout de chaîne ». Il s’agit donc de permettre ces enregistrements par la saisie d’informations liées à la gestion des projets mais il importe également de garder mémoire des décisions et d’enregistrer les informations clefs des projets de façon structurée en vue d’une utilisation ultérieure.
Par ailleurs, l’information liée à l’utilisation des budgets des bailleurs de fonds est depuis longtemps enregistrée, organisée et sécurisée de manière à permettre un reporting de qualité qui est la base de la confiance des donateurs.
Aujourd’hui, l’enjeu est donc de permettre l’enregistrement et l’utilisation des informations clefs relatives aux activités mises en œuvre sur le terrain. Il s’agit en effet, à terme, d’être capable de suivre un certain nombre d’indicateurs agrégés à partir des données collectées sur les terrains afin de rendre compte et de piloter sa structure, ce qui est bien la pierre angulaire de tout système redevable.
Le type d’information à suivre relève dès lors d’une réflexion profonde sur un certain nombre de pratiques ; par exemple, enregistrer les données désagrégées est une responsabilité organisationnelle prônée par la nouvelle Norme humanitaire fondamentale (CHS) pour garantir la prise en compte de la diversité des communautés.
Enfin, de manière à prendre en compte les spécificités des organisations humanitaires, les systèmes d’information doivent s’adapter aux différents niveaux de l’organisation en aidant à la gestion de projets sur le terrain, mais aussi en renseignant la stratégie et en aidant à la gestion de l’organisation à tous les niveaux hiérarchiques. Des tableaux de bord doivent ainsi être disponibles pour présenter un certain nombre d’informations utiles à la prise de décision à différents niveaux.
Structuration des processus internes et amélioration continue
Chaque organisation doit réfléchir en amont à la structuration de ses processus pour pouvoir ensuite les traduire dans le paramétrage de son système d’information. Cette explicitation des processus internes (organiser les grandes étapes du travail en équipe, clarifier les rôles et les responsabilités pour produire un fonctionnement homogène réfléchi dans l’organisation) est l’une des activités essentielles d’une adoption de démarche Qualité. Elle permet également de lier chacune des informations enregistrées aux principes ou critères de la charte Qualité choisi(e)s par l’organisation.
Toutefois, la mise en place d’une démarche Qualité ne se limite évidemment pas à la rédaction des procédures en vue d’homogénéiser les pratiques au sein de l’organisation. Cette dernière doit en effet s’engager dans un processus itératif d’amélioration continue de la Qualité, avec une révision périodique des procédures sur la base des résultats produits. L’utilisation des informations enregistrées durant les évaluations de projet et l’analyse des indicateurs de résultat doivent également aider à revoir les pratiques et la performance collective. Cela permet de stimuler une dynamique de discussion et d’amélioration continue sur les procédures internes qui seront nécessairement explicitées en détail lors du paramétrage.
La flexibilité des systèmes est donc essentielle pour s’adapter à chaque organisation. De même, l’ergonomie des interfaces de paramétrages est déterminante pour faire évoluer facilement ces paramétrages.
Pour toutes ces raisons, même si les logiciels de gestion de l’information se présentent en premier lieu comme une solution technique à l’« infoxication », ils sont en réalité capables de beaucoup plus et peuvent constituer une porte d’entrée innovante pour la mise en œuvre effective des principes de Redevabilité et de Qualité au sein des organisations d’aide.
Olivier SARRAT – Groupe URD
Chargé de recherche systèmes d’information
Cet article a été adapté d’un texte présenté à la conférence « Humanitarian Technology » de mai 2014 (HumTech2014), dont les actes sont disponibles à l’adresse suivante : http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1877705814010340.
Cycle de l’amélioration continue dans Sigmah :
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p. 32-34