Auteur(s)
François Grünewald
Le Népal – qui sort d’une longue guerre civile (1996 à 2006) – est un pays où les risques sont nombreux, notamment en raison de la géopolitique régionale (jeux de la Chine et de l’Inde). Marquée par les castes, mais aussi par une longue tradition de solidarité, la société civile népalaise s’est retrouvée en première ligne de la réponse dès l’après-midi du 25 avril 2015, premier séisme d’une longue série, puis dans les jours qui ont suivi. Ainsi, individus, ONG locales, institutions religieuses et autorités des villages et districts ont sorti les blessés des décombres, donné les premiers secours, organisé la collecte et la distribution de couvertures et d’habits, etc. Les ONG internationales, notamment toutes celles qui avaient initié des programmes de gestion des risques et catastrophes, se sont vite mobilisées en appui à leurs partenaires népalais ainsi qu’en coordination avec l’Unité Nationale de Gestion des Catastrophes et avec le système des Nations unies. Mais l’arrivée dans les villages d’autres acteurs internationaux, souvent nouveaux au Népal, pour des distributions conduites avec peu de consultation, voire aucune, des autorités locales et des populations, a souvent été mal ressentie, tant par les associations népalaises que par les autorités locales, même si l’extraordinaire hospitalité et gentillesse népalaise a souvent arrondi les angles.
Si le système administratif décentralisé (les comités de développement des villages et des districts) est très politisé, ce qui peut amener des problèmes d’indépendance et d’impartialité, il a été très engagé dans l’identification des besoins et a tenté de mettre en place des mécanismes de coordination locaux que les acteurs internationaux nouveaux au Népal ont parfois mis du temps à comprendre. Les ONG népalaises ont souvent été la clé de l’action dans les zones difficiles, accessibles seulement après des heures de route très difficiles, voire des heures de marche dans les montagnes où la vie quotidienne reste très rude (et aggravée par la mousson, qui paralyse les mouvements, ou le froid lors des mois d’hiver). Par ailleurs, ces ONG sont fortement exposées aux pressions politiques et aux intérêts des puissants des villages, devant ainsi opérer dans un environnement socio-politique d’une grande complexité. Cette situation a été accentuée par le fait que deux des dernières étapes du processus de paix – les élections locales et celles de la représentation – sont encore très récentes et que les nouveaux élus découvrent tout juste leurs responsabilités, même si beaucoup ont auparavant travaillé au sein de la société civile et des ONG. Il va par conséquent être intéressant de voir comment ces nouveaux élus, souvent nés à l’action publique via les engagements associatifs et le plaidoyer auprès des autorités1, vont fonctionner une fois de « l’autre côté du miroir ».
Rares sont les bailleurs qui ont fait le choix de cibler de façon spécifique les ONG nationales pour mettre en place la réponse au séisme de 2015 malgré les efforts de plaidoyer de la puissante Fédération des ONG népalaises. Certains l’ont néanmoins fait de façon stratégique. Ainsi, la Fondation de France, spécialisée dans la collecte et la redistribution des fonds du public, a développé une expérience particulière protéiforme : 1) en ciblant à la fois de grandes ONG népalaises très réputées (THEWA, ARSOW) et une myriade de petites ONG, 2) en mettant en place un mécanisme de soutien et de conseil technique pour la reconstruction du bâtis, et enfin 3) en soutenant la Fédération des ONG népalaises dans sa fonction de plaidoyer auprès des autorités nationales, des ONG internationales et des Nations unies. Cette approche, qui s’inscrit dans une démarche initiée lors du Tsunami de 2004, poursuivie en Haïti après le séisme de 2010 et aux Philippines après les typhons de 2011, 2013 et de 2014, a permis de repérer de nombreux facteurs de réussites de ces soutiens aux ONG nationales (finesse des diagnostics, ancrage sociétal fort, capacité à garder une présence prolongée dans des zones très difficiles, etc.), quelques grands risques de ratés (portant notamment sur la mise à l’échelle des programmes, les dangers de l’instrumentalisation locale et les problèmes d’intégrité) et un certain nombre de leçons à tirer pour les prochaines grandes catastrophes. On notera notamment qu’il est possible de faire transiter des fonds importants via les ONG nationales, à condition de mettre en place les mécanismes idoines de soutien (notamment technique et de gestion de ressources), de suivi et d’appui aux démarches d’apprentissage. Générosité et lucidité ne sont pas antagonistes en ce qui concerne la localisation de l’aide.
François Grünewald, Directeur général, Groupe URD
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