Auteur(s)

Anna Lear

Construire des partenariats durables entre organismes de formation : allons-nous de l’avant ?

En amont du Sommet humanitaire mondial (Istanbul, 23-24 mai 2016), le « Training Providers Forum » 1 – en français Forum des organismes de formation – a organisé un atelier rassemblant trente personnes impliquées dans la formation et le renforcement des capacités 2 au sein du secteur humanitaire et du développement international. Dans le cadre de la « Grande négociation » (Grand Bargain) 3, la « localisation » a émergé comme des sujets clés à Istanbul et l’objectif de notre rencontre était d’analyser si les prestataires de formation basés dans l’hémisphère nord ont un rôle à jouer dans l’appui aux formations et aux services d’apprentissage des pays du sud et d’étudier les défis et risques associés.

Bien évidemment, le renforcement des capacités et le soutien aux ONG nationales font partie du discours du développement depuis de nombreuses années. Mais aujourd’hui, nous observons que des organismes de formation basés dans l’hémisphère nord s’engagent dans un changement de stratégie. Tout en organisant et en animant des formations, un certain nombre de prestataires de formation du Nord commencent en effet à soutenir – ou collaborer avec – leurs homologues basés dans des régions où la réponse humanitaire est mise en œuvre, ou dans des pays voisins. C’est cette tendance parallèle qui nous intéresse, à la fois pour comprendre quelle peut être notre valeur ajoutée en tant qu’acteurs du Nord, et comment nous pouvons collectivement améliorer la manière dont nous travaillons ensemble.

Lorsque l’on examine certains défis nés de ce changement de stratégie, on constate le risque évident que des formations dispensées par des organisations étrangères viennent à inonder le marché, affaiblissant ainsi de manière involontaire les initiatives locales. Il s’agit avant tout d’une question d’impact à court ou long terme. A court terme, une formation extérieure peut répondre à un besoin spécifique de formation et aura, dans le meilleur des cas, un impact positif tout en aidant à renforcer les capacités nationales au niveau de la réponse en tant que tel. Néanmoins, à plus long terme, cette approche peut réduire les financements destinés aux organismes de formation nationaux émergents et avoir un impact négatif sur l’ensemble du secteur de l’apprentissage.

On constate également un problème inhérent de dynamiques de pouvoir dans ce type de collaboration internationale où une partie a accès à des financements alors que l’autre en a besoin. Dans les programmes de renforcement des capacités où un organisme de formation est financé pour venir en appui à un autre, les deux organisations ont une redevabilité double envers le bailleur et les bénéficiaires des activités d’apprentissage. Pourtant, la notion de ce qui constitue une formation de qualité variera en fonction d’un certain nombre de facteurs, y compris notre culture et notre propre expérience individuelle en matière d’apprentissage. Bien évidemment, si nous ne reconnaissons pas le risque d’imposer notre « expertise », nos modèles et nos idées sur ce qui fait une bonne formation, alors nous courons le risque d’éclipser les approches et les dynamiques nationales propres au contexte.

Pour les deux parties, un autre défi lié à ce type de collaboration réside dans la clarification des attentes et la manière de travailler ensemble au début, ceci dans le but de construire la confiance et d’éviter les incompréhensions. Malgré les engagements sur le papier en faveur d’une appropriation locale, notre expérience montre que les organisations chargées de gérer les financements du renforcement des capacités ont souvent du mal dans la pratique à « lâcher prise » et donner accès aux contenus des formations ainsi qu’à confier la responsabilité de la gestion de la formation.

Nous souhaitions également explorer le problème de la valeur ajoutée des organismes de formation basés dans le Nord dans le cadre de leur collaboration et de leurs partenariats avec leurs homologues du Sud. Malgré les difficultés rencontrées, nous estimons que si les conditions sont réunies, la collaboration, les partenariats et les opportunités visant à un partage de l’apprentissage s’avèrent bénéfiques : il est en effet bon que les apprenants bénéficient d’une grande diversité de méthodologies d’apprentissage et de contenu, de même qu’il est bon pour les organismes de formation d’apprendre les uns des autres, et de partager contenus et approches pédagogiques.

Le secteur tire des bénéfices évidents de ce que la formation dispensée est la plus locale possible. En termes de durabilité, comme les formateurs nationaux sont implantés dans la région, ils peuvent fournir un appui et des services à long terme. De même, les organismes de formation nationaux sont mieux placés pour accéder à une large gamme de publics en raison d’un certain nombre de facteurs (lieu d’implantation, langue parlée…). Les formateurs nationaux intègrent plus facilement des matériaux et des références spécifiques au contexte qui « parlent » aux apprenants. Enfin, les organismes de formation nationaux s’engageront naturellement dans des méthodologies d’apprentissage et des approches pédagogiques pertinentes et culturellement acceptables pour leur public.

Par ailleurs, tout en fournissant une opportunité aux deux parties pour explorer de nouvelles approches d’apprentissage et de nouveaux modèles de partenariat d’apprentissage, un partenariat est un moyen de garantir que les financements atteignent des organismes de formation nationaux qui, à l’heure actuelle, ne sont pas en mesure de tirer parti des mécanismes de financement internationaux. Mais quels facteurs déterminent le caractère bénéfique du partenariat ou de la collaboration pour les deux parties et si il/elle aide à la mise en place de formations locales durables ? Et que pouvons-nous faire collectivement pour améliorer la manière dont nous travaillons ensemble ?

Dans le but de répondre aux besoins d’apprentissage exprimés, d’éviter les duplications et de renforcer les initiatives locales, la décision de soutenir les organismes de formation nationaux doit s’appuyer sur un diagnostic des besoins en apprentissage spécifique au contexte, combiné avec une analyse du marché. C’est en effet seulement via une compréhension solide du contexte et du marché local que nous pouvons identifier collectivement s’il existe des lacunes au niveau de l’offre et de la demande, et qui est le mieux placé pour répondre à cette demande. Cela signifie comprendre si certains acteurs humanitaires veulent apprendre de nouvelles compétences et de nouveaux savoirs – ou s’ils en ont besoin –, mais aussi pourquoi ils ne sont pas en mesure d’accéder aux opportunités d’apprentissage existantes (prix, lieu…). Enfin, il s’agit de comprendre qui a la capacité et la légitimité pour soutenir l’organisme local de formation.

Pour de nombreux prestataires de formation locaux, la priorité est de sécuriser un financement à long terme et ainsi de garantir continuité et durabilité. Une collaboration ou un partenariat qui apporte un financement à long terme permettra à l’organisation et à son personnel de réfléchir de façon stratégique plutôt que de rechercher un financement. Durant l’atelier, une organisation locale s’est plainte du manque d’opportunités et de vision favorables à des approches holistiques. De manière générale, on constate en effet une focalisation trop importante sur les formations et les formations de formateurs, et pas assez sur le soutien au développement organisationnel à long terme. Par conséquent, pour parvenir à un changement, il est nécessaire que les bailleurs dépassent ce qui est facilement mesurable pour adopter une approche systémique à plus long terme en matière de renforcement des capacités où nous devons accepter d’avoir un changement moins linéaire et d’abandonner une part de contrôle.

De même, à moins qu’un financement spécifique ne soit accordé pour un appui organisationnel, collaborer avec des organismes locaux de formation peut dans les faits s’avérer très compliqué sur le plan financier. Les questions liées à l’« appropriation » des modules et des supports de formation peuvent également être sensibles. Renforcer les capacités des organismes locaux de formation est bien sûr souhaitable, mais ce n’est pas chose facile, car notre volonté de renforcer les capacités d’autres organisations est affectée par notre désir de protéger et de servir les intérêts de notre propre organisation. Par conséquent, cela implique des approches stratégiques plus fortes au sein du secteur qui, en retour, doit être mieux financé.

Malgré les défis à relever, le passage à une collaboration avec les organismes de formation des pays du Sud est déjà en cours. En effet, plusieurs de nos organisations travaillent depuis quelques années avec cette approche, mettant en place des partenariats durables et, dans certains cas, créant localement de nouveaux instituts de formation. Et si nous agissons ainsi, on peut penser que c’est probablement parce que les bénéfices de ce type de collaboration sont supérieurs aux coûts qu’ils occasionnent.

Bien évidemment, un certain nombre de facteurs affecteront la création d’une offre de formation locale durable. Mais le risque d’avoir un impact négatif sur les organisations nationales existantes ou émergentes sera considérablement réduit si nos interactions prennent en compte les dynamiques de pouvoir inhérentes et si nous travaillons à surmonter ces défis. Enfin, si les partenariats dans lesquels nous nous engageons sont de vrais partenariats qui se concentrent sur un apprentissage réciproque et le partage des capacités, alors nous avons déjà un pas dans la bonne direction.

 

Anna Lear, Groupe URD, Responsable formation en collaboration avec les autres organisations membres du Training Providers Forum(Bond, CHS Alliance, Cornerstone On Demand Foundation, Groupe URD, IECAH, INASP, Institut Bioforce, INTRAC, Mango et RedRUK).

  1. Le « Training Providers Forum » est un groupe informel constitué d’organismes de formation partageant la même vision du secteur et appréciant de travailler ensemble. Ce Forum vise à : 1) améliorer l’accès aux formations – et leur qualité – dans le secteur du développement international et de l’action humanitaire, grâce à une meilleure collaboration entre organismes de formation ; 2) mettre en commun les apprentissages et partager les bonnes pratiques ; et 3) plaider pour l’importance de la formation dans le secteur. Ce Forum comprend actuellement les organisations suivantes : Bond, CHS Alliance, Cornerstone OnDemand Foundation, Groupe URD, IECAH, INASP, Institut Bioforce, INTRAC, Mango et RedR UK.
  2. Un débat est en cours en ce qui concerne les termes « capacity development » (développement des compétences) et « capacity building » (renforcement des compétences). Certains acteurs s’inquiètent de ce que ces termes se focalisent trop sur le rôle des « experts » qui apportent les compétences et ne reconnaissent pas assez les compétences qui existent déjà au sein des individus, des organisations et des sociétés en question. Dans le but de corriger ce déséquilibre, le terme « capacity strengthening » devient de plus en plus populaire. Par ailleurs, un autre terme – « capacity sharing » – se concentre quant à lui davantage sur l’importance de reconnaître et d’alimenter un apprentissage dans les deux sens.
  3. La « Grande négociation » (Grand Bargain) est un ensemble de réformes lancé à l’occasion du Sommet humanitaire mondial d’Istanbul.

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p. 8-9