Auteur(s)
François Grünewald & Hugues Maury
À l’heure d’Ebola, du choléra et du Chikungunya : risques sanitaires passés, présents et à venir
Épidémies et pandémies : réflexions sur le risque sanitaire
Les grandes pandémies ne sont pas des phénomènes nouveaux. Certaines font partie de la mémoire collective de l’humanité (peste, choléra, grippe espagnole…) et ont ravagé à plusieurs reprises certaines régions du monde dont l’Europe. L’histoire de ces grandes épidémies est fortement liée à l’augmentation de la mobilité des biens et des personnes, les maladies transportées par les explorateurs et les commerçants (tuberculose, syphilis, rougeole, etc.) ayant eu dès les premiers contacts intercontinentaux des effets dévastateurs sur les populations autochtones. L’impact démographique de ces épidémies sur des régions entières, comme l’Amérique latine et les Caraïbes, en a d’ailleurs façonné l’histoire avec la disparition massive des « premiers habitants ».
Encadré 1. La peste en Europe
La peste qui s’était répandue au début du Moyen Age dans toute l’Europe avait ensuite disparu aussi bien en Occident qu’en Orient. En 1346, après six siècles d’absence, elle a resurgi dans la région de la mer Noire. L’affrontement entre Mongols et Génois à Constantinople entraîna la contamination de populations qui, dans leur fuite, amenèrent le bacille de Yersin à Messine, puis à Marseille par l’intermédiaire de galères qui débarquèrent en novembre 1347. La peste atteignit Paris en juin 1348 puis toucha le sud de la Grande-Bretagne et la Flandre. Du monde musulman à l’Europe occidentale, la peste décima alors les populations et fragilisa les structures sociales, faisant disparaître en quelques mois, entre un tiers et la moitié de la population européenne. Une estimation plus précise est difficile car seuls les registres de baptêmes et des enterrements permettent de prendre la mesure du désastre mais tous les calculs aboutissent à un minimum de 40 % de décès dans chaque village. Du point de vue économique, les conséquences de la peste furent très graves. Faute d’hommes, la production fut totalement désorganisée. Les champs furent laissés en friche et des villages entiers se retrouvèrent abandonnés. Il faudra attendre la seconde moitié du XVe siècle pour que l’impact du fléau soit en partie résorbé.
Les agents infectieux anciens, mais présentant des risques nouveaux
Les virus de la grippe bien qu’anciens restent un facteur potentiel de mortalité important. Le virus de la grippe espagnole, qui frappa l’Europe immédiatement après la Première Guerre mondiale, fut bien plus meurtrier que le conflit lui-même.
Encadré 2. La grande pandémie de grippe espagnole de 1918-19191
À peine sortis du premier conflit mondial, l’Europe et le monde connaissent un nouveau fléau. Entre février 1918 et avril 1919, la pandémie de grippe dite « espagnole » atteint en effet la moitié de la population mondiale et tue vingt à quarante millions de personnes. On estime qu’en France, 165 000 personnes y ont succombé. Défi démographique et médical majeur, modèle de recherche sur les maladies transmissibles, la pandémie grippale de l’hiver 1918-1919 est un précédent de propagation des pandémies et une source d’enseignement non négligeable alors qu’aujourd’hui surgissent de nouvelles menaces. Au printemps 1918, une première vague d’épidémie grippale, contagieuse mais peu virulente, précède la grande pandémie meurtrière de l’automne. La maladie apparaît simultanément en Amérique du Nord, en Europe et en Asie. Aux États-Unis, elle touche particulièrement les soldats en garnison. En Europe, rien n’indique que les premiers cas soient espagnols. Tout juste est-il admis que l’épidémie a été identifiée de façon précoce en Espagne, exemptée de censure militaire sur ce sujet sensible. Certains parlent aujourd’hui d’une apparition de la maladie aux États-Unis, puis d’une propagation rapide au reste du monde par les transports de troupes. Cette théorie pourrait expliquer que les premiers cas français aient été bordelais, région de débarquement des navires en provenance d’outre-Atlantique. En octobre 1918, la deuxième vague de grippe frappe les médecins par plusieurs particularités. Son incidence est tout d’abord élevée, particulièrement chez les patients jeunes non immunisés par la pandémie de 1890 et chez les femmes. Ensuite, le tableau clinique est très sévère, associant des signes généraux marqués, des manifestations respiratoires constantes, puis des complications pleurales, digestives ou cardiovasculaires fréquentes et graves. Après un premier syndrome grippal modéré d’évolution rapidement favorable, beaucoup de patients ont repris une activité normale pressés par des conditions économiques et sociales difficiles. Ils sont alors surpris par la brutalité de la « rechute » : d’emblée, la fièvre est élevée, l’asthénie marquée, la dyspnée et la toux exténuantes. Beaucoup de patients, trop fatigués ou trop occupés pour se rendre à l’hôpital, n’arrivent en consultation qu’au stade de détresse respiratoire aiguë, voire d’un collapsus cardiovasculaire. Les méthodes diagnostiques sont alors modestes. L’interrogatoire reste important, à la recherche d’une contamination directe par un proche ou indirecte par la fréquentation d’un lieu particulier. Les efforts des autorités publiques se sont initialement concentrés sur l’éradication des « foyers d’épidémie » et le contrôle de la transmission interhumaine. Au plus fort de l’épidémie, en octobre 1918, le ministère de l’Intérieur ordonne la fermeture des lieux publics. Les préfets ne suivront que partiellement ces recommandations, mais ils effectueront un réel effort d’assainissement par l’organisation du ramassage des ordures et la vaporisation d’antiseptiques dans les supposés « foyers d’épidémie ». De son côté, le ministère de la Défense prend en charge les malades venus du front, essentiellement en les évacuant vers les lignes arrières, ce qui ne manquera pas de propager l’épidémie aux villes de garnison …]
Importance du contrôle des mouvements, rôle de l’information des populations, enjeu de lutte contre les stéréotypes, prise en compte des fortes contraintes et gestion des dramatiques conséquences économiques, tant au niveau des foyers que des pays : autant de leçons tirées toujours d’une triste actualité.
Une des difficultés réside dans le fait que ces virus se modifient régulièrement. Certaines évolutions sont parfois dues aux activités humaines, notamment à toutes celles qui induisent des brassages importants de populations humaines et animales. Ainsi, la pratique d’élevage intensif de volailles ou de bétail a favorisé les croisements et l’émergence de nouveaux virus. Ceux-ci peuvent être relativement bénins, même si très contagieux (virus porcin H1N1), ou moins contagieux mais très dangereux (virus aviaire H5N1, SRAS) (cf. Carte page 26).
Foyers épidémiques et propagation des virus h1n1 et SRAS
Le développement des systèmes d’automédication, la consommation croissante et non contrôlée d’antibiotiques, la présence sur les marchés de nombreux pays du Sud de produits médicamenteux à qualité contestable produisent aussi des résistances de plus en plus préoccupantes aux moyens connus de soins. Ainsi, par exemple, le pneumocoque (streptocoque pneumoniae) ou le bacille tuberculeux (BK), très sensibles il y a une cinquantaine d’années, connaissent depuis plusieurs décennies une évolution préoccupante vers la résistance aux antibiotiques : il est désormais possible de mourir d’un banal streptocoque. De plus, non seulement certaines bactéries sont de plus en plus résistantes mais, à l’inverse, l’Homme lui devient de plus en plus immuno-fragile car il n’est plus confronté de façon régulière à ces bactéries. Ainsi, dans un article de son numéro d’août 2010, la revue Lancet2 lançait un cri d’alarme suite à l’apparition et à la rapide dissémination de bactéries multi-résistantes se propageant via les patients du tourisme médical vers l’Asie du Sud et que l’on retrouve en Europe, aux États-Unis et au Canada.
Encadré 3. L’apparition de nouveaux agents pathogènes multi-résistants
Les bactéries sont de plus en plus résistantes aux antibiotiques conventionnels. Il y a dix ans, les préoccupations principales portaient sur les bactéries Gram+ et, notamment sur les staphylocoques dorés résistants à la meticiline et les entérocoques résistants à la vancomycine. Il commence maintenant à être admis que la multi-résistance des bactéries Gram– pose elle aussi un risque majeur de santé publique. Non seulement la résistance se propage beaucoup plus rapidement chez les bactéries Gram– que chez les Gram+, mais en plus il existe beaucoup moins d’antibiotiques nouveaux disponibles ou en développement pour cette gamme de bactéries. La résistance accrue des bactéries Gram– est liée à la grande mobilité des gènes qui peuvent être disséminés par les plasmides dans la population bactérienne. L’accélération de la mobilité humaine par air et en fonction des mouvements migratoires permet aux bactéries et aux plasmides d’être transportés rapidement d’un pays ou d’un continent à un autre. Cette dissémination est indétectable car les clones résistants voyagent au milieu de la flore bactérienne humaine et ne deviennent apparents que lorsqu’ils sont une source d’infection. L’apparition d’Entérobactéries Gram–, transférées par le gène de la New Delhi metallo-?-lactamase 1 (NDM-1) et résistantes à la plupart des classes d’antibiotiques, pose ainsi un problème majeur de santé publique mondiale.
La décision d’activer les lancements d’alerte devra elle aussi répondre aux plus hauts standards éthiques. Le cas du virus H1N1 (cf. Encadré 4) interroge notamment sur le danger pour un État ou une institution internationale de ne pas disposer d’expertise propre et indépendante des lobbies. De plus, le déclenchement fréquent d’alertes qui s’avèrent injustifiées par la suite risque de décrédibiliser l’ensemble du système d’alerte précoce et de réaction rapide. Il existe très peu de médicaments antiviraux : la préservation de leur efficacité doit être une préoccupation. On peut regretter à ce propos les injonctions du ministère de la Santé français à l’ensemble des médecins de traiter toutes les grippes avec l’antiviral Tamiflu lors de l’hiver 2009 face au risque épidémique du virus H1N1. Outre le fait que son efficacité soit scientifiquement questionnable, il est certain que cela revient à assurer à court terme l’inefficacité du produit pour cause de résistance induite.
Encadré 4. La difficile gestion des nouvelles pandémies
En juin 2009, l’OMS déclarait à propos du virus H1N1 l’apparition d’une nouvelle pandémie. L’allemand Wolfgang Wodarg, médecin et épidémiologiste, président de la commission santé du Conseil de l’Europe, a obtenu le lancement d’une enquête sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion de la grippe A par l’OMS et les États : « Nous sommes confrontés à un échec des grandes institutions nationales, chargées d’alerter sur les risques et d’y répondre au cas où une pandémie survient. En avril, quand la première alarme est venue de Mexico, j’ai été très surpris des chiffres qu’avançait l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour justifier de la proclamation d’une pandémie. J’ai eu tout de suite des soupçons : les chiffres étaient très faibles et le niveau d’alarme très élevé. On n’en était à même pas mille malades que l’on parlait déjà de pandémie du siècle… En réalité, rien ne justifiait de sonner l’alerte à ce niveau. Cela n’a été possible que parce que l’OMS3 a changé début mai sa définition de la pandémie. Avant cette date, il fallait non seulement que la maladie éclate dans plusieurs pays à la fois mais aussi qu’elle ait des conséquences très graves avec un nombre de cas mortels au-dessus des moyennes habituelles. On a rayé cet aspect dans la nouvelle définition pour ne retenir que le critère du rythme de diffusion de la maladie…. ». Il existe un fort soupçon que des experts, liés aux firmes pharmaceutiques, aient grandement influencé les décisions au niveau de l’OMS et des gouvernements des États. Il s’en est suivi un déploiement considérable d’informations alarmistes et de campagnes de vaccination mais aussi des coûts considérables et sans doute sur-dimensionnés pour les systèmes de santé : environ 700 millions d’euros en Allemagne, près de 800 millions en France… Pour contenir une épidémie de grippe qui, pour la France en janvier 2010, n’a tué « que » moins de 300 personnes, contre 5000 à 10 000 chaque année avec la grippe saisonnière « banale ». (Source : [http://grippe-a-h1n1.over-blog.com)
Dans les pays à l’épidémiologie complexe, où coexistent des risques classiques (paludisme, maladies liées à l’eau, etc.), où la prévalence de certaines endémies crée des profils épidémiologiques particuliers (la maladie du sommeil dans certaines zones d’Afrique de l’Ouest, le kalahazar au Sud Soudan, etc.) et dans lesquels les épisodes épidémiques violents (de type « Ebola » ou « choléra ») sont toujours possibles, la veille sanitaire et la capacité de recenser les cas cliniques et de faire remonter l’information vers les systèmes de veille au niveau central sont essentielles.
Les dynamiques épidémiologiques contemporaines
Avec les évolutions sociétales et la probabilité de mutations transformant des entités biologiques sans effets nocifs en de potentiels vecteurs de mortalité très efficaces, l’humanité reste confrontée au risque de voir apparaître de nouveaux dangers sanitaires.
Le virus du SIDA (VIH)
Le VIH est apparu en son temps comme un « nouveau » virus atypique : une contagiosité exclusive via l’activité sexuelle et la contamination sanguine, des populations cibles électives de par leurs comportements, une évolution lente et quasi inexorable vers la mort de populations souvent jeunes. Ce virus a révélé des fragilités particulières des sociétés au Nord comme au Sud. A cela, il faut ajouter l’incompétence face à ce nouveau risque et l’inadéquation des systèmes de santé face à ce nouveau virus ainsi que leur manque de moyens dans de nombreux contextes. Le rejet violent des malades par le corps social et les mesures d’exclusion qui l’accompagnent désorganisent tout le corps social dans certains pays africains où près d’un jeune adulte sur deux est mort de la maladie ou malade. Les répercussions sociales, économiques et sécuritaires de cette situation sont importantes :
- Des zones entières du Malawi et du Zimbabwe ont perdu leurs capacités d’autosuffisance et de production pour les villes de la région par manque de main-d’œuvre agricole ;
- Le sentiment de perte de perspectives pour le futur a commencé à créer chez les groupes de personnes affectées des comportements désespérés, qui vont de la grande prédation aux agressions sexuelles massives.
Si les choses ont beaucoup évolué avec 30 ans d’intensives campagnes de sensibilisation, l’apparition de nouveaux traitements (trithérapies, etc.) et une évolution sociale autour des processus de contamination et de vie sociale des personnes contaminées, la fragilité de ces progrès nous est régulièrement rappelée. Dès qu’une amélioration est repérée, les comportements à risque réapparaissent aussitôt. Les coûts des traitements ont pendant longtemps exclu des populations entières de la planète d’un accès de base aux trithérapies. Grâce à des structures comme MSF investissant intensément dans le plaidoyer, des progrès très importants dans l’accès au traitement ont été réalisés. Reste à les viabiliser…
Le retour des pathogènes de Classe 4
D’autres agents pathogènes très dangereux, notamment ceux de la famille des virus à fièvre hémorragique, comme le virus Ebola ou le virus de Marburg, dits de classe P44, ont pendant longtemps associé une forte mortalité locale avec une faible propension, jusqu’à peu, à de grandes épidémies. C’était le « syndrome de la clairière ». Dans ces villages isolés en plein forêt équatoriale, les bassins de contamination restaient d’une taille limitée et l’épidémie s’éteignait d’autant plus vite que le virus tuait rapidement, empêchant ainsi la dynamique de contamination de gagner de l’espace : elle cessait dès que la population à contaminer passait en-dessous d’une certaine taille ne permettant plus la transmission et la reproduction du virus. L’épidémie s’arrête alors, mais la survie du virus n’est en général pas compromise, d’autant que l’on vient de découvrir de nouveaux porteurs sains parmi la faune, pouvant devenir agents de transmission directe à l’homme (chauve-souris). Dès lors, le phénomène peut se réactiver. L’épidémie actuelle d’Ebola démontre que dans un monde où la mobilité est une des clés de l’économie à tous les niveaux (recherche d’emploi vers les villes, commerce des produits agricoles, tourisme, etc.), facilitée par l’amélioration des moyens de transport, et où la peur est un fort facteur de fuite, le modèle classique de fin d’épidémie ne fonctionne plus. Le virus, qui restait confiné dans la forêt gagne vite des villes et traverse des frontières.
La communauté internationale est en train de prendre conscience qu’il faudra faire des efforts considérables pour aider l’Afrique de l’Ouest à contenir la propagation de l’infection du virus Ebola, à faire face aux conséquences humanitaires et économiques de la crise, et à améliorer les systèmes de santé publique. La prise de conscience que l’épidémie pouvait facilement traverser non seulement les frontières, mais aussi les continents, et devenir un vrai problème hors de sa zone classique d’Afrique de la forêt, a été un fort déclencheur de ces efforts internationaux. Est-ce « trop peu, trop tard » comme le dénonce MSF ?
L’épidémie du SRAS s’était déclenchée dans des pays finalement assez capables d’y faire face, dotés de moyens financiers importants et de services de santé assez compétents et relativement bien équipés, ainsi que de gouvernements politiquement forts. L’épidémie d’Ebola a quant à elle démarré dans des pays pauvres, aux systèmes de santé évanescents et aux gouvernances encore en construction après des années de crise et de conflit. Elle a en outre débuté à un moment où l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) est dans un état financier attristant, avec des coupes de plusieurs centaines de millions d’Euros ainsi qu’une forte réduction de ses capacités de déploiements rapides : le budget de l’OMS est ainsi actuellement de 3,98 milliards de US$, tandis que celui du Center for Disease Control (CDC) d’Atlanta est d’environ 6 milliards. Le prix à payer pour cette situation risque d’être terrifiant même si les efforts d’’imagination et d’innovation déployés dans de nombreux laboratoires publics et privés sont sans doute maintenant très importants… Sans doute un Nobel à la clé…
10 principales leçons permettant d’améliorer l’efficacité du développement de projets de la communauté internationale en réponse à l’épidémie d’Ebola ont été identifiées par le Groupe de Travail Indépendant sur les Évaluations de la Banque Mondiale (IEG-WB)
- La faiblesse des systèmes de santé est un facteur majeur contribuant au risque épidémique, en particulier en raison de l’insuffisance de personnel médical et infirmier formé et équipé, de traçage des contacts, de la collecte et des transports d’échantillons, des capacités de diagnostic de laboratoire, ainsi que d’unités de soins intensifs avec possibilité d’isolement. La réponse à la crise doit soutenir non seulement les interventions d’urgence immédiates, mais aussi la réduction des risques à moyen terme par le renforcement du système de santé publique, en reconnaissant que les possibilités de s’engager à l’avenir seront peut-être limitées, une fois la crise passée.
- Les efforts de renforcement des capacités devraient être faits de manière à concerner plus qu’une seule maladie. Il conviendrait d’envisager dès le départ des moyens de construire des systèmes durables au-delà de la crise actuelle et il faudrait probablement y inclure des soutiens à la santé animale et aux systèmes vétérinaires, en plus des systèmes de santé publique, ainsi que la gestion d’autres zoonoses et maladies infectieuses.
- Développer une plate-forme de partenariat solide et efficace pour coordonner le soutien des différents acteurs internationaux, dans le cadre stratégique que l’OMS a approuvé le mois dernier (WHO-led strategic framework). Les partenaires devraient se concentrer sur leurs domaines spécifiques d’avantages comparatifs : pour le Groupe de la Banque mondiale, cela comprendrait le renforcement des capacités du système de santé publique.
- Compléter les investissements au niveau national par des approches régionales pour une collaboration transfrontalière sur les activités de santé publique, en particulier dans les domaines de la surveillance et de suivi. Cependant, les efforts pour tenter de prévenir la transmission de la maladie par le contrôle des frontières peuvent être inefficaces, en particulier dans les pays dont les services de contrôle aux frontières sont faibles et les frontières poreuses.
- Les campagnes de sensibilisation, de communication et de proximité jouent un rôle important dans la réponse aux épidémies, en particulier dans les zones où la population est mal informée sur la maladie, où les mécanismes de transmission et les comportements sécuritaires sont encore à adopter et où les personnes peuvent être sceptiques à l’égard d’interventions médicales. La formation à la communication pour les personnels clés des autorités peut être utile, ainsi que les efforts pour réduire la désinformation et les messages alarmistes à travers les média.
- Trouver le juste équilibre entre une réponse rapide et la conduite d’analyses techniques pour la préparation du projet afin de garantir une conception efficace des interventions. Le report d’importantes conceptions techniques après l’approbation du projet peut entraîner des retards coûteux à la mise en route des activités du projet et à la fourniture de biens et services essentiels.
- Équilibrer les investissements entre les infrastructures, tels que laboratoires et équipements, et le développement institutionnel mais aussi le renforcement des compétences, afin de garantir l’existence de capacités suffisantes pour utiliser et entretenir l’infrastructure technique et financière.
- L’acquisition de matériel de laboratoire spécialisé et d’autres fournitures peut s’avérer longue et compliquée. Il est essentiel que les agences d’exécution des gouvernements et des communautés économiques régionales aient une forte capacité institutionnelle pour accélérer l’acquisition de ces équipements et ainsi faciliter la mise en œuvre du projet.
- La conception du système de suivi et d’évaluation ne doit pas être négligée dans l’objectif d’une réponse rapide. Les indicateurs de résultats intermédiaires qui suivent des fonctions particulières (la surveillance, la collecte et le transport d’échantillons, le diagnostic, le traitement, etc.) par rapport à des critères de référence sont essentiels pour évaluer la performance de la mise en œuvre et réajuster les plans en fonction de l’évolution en temps réel. Les enquêtes devraient évaluer les pratiques, pas seulement la connaissance.
- L’épidémiologie préventive, y compris les systèmes efficaces de notification des maladies, est un moyen nécessaire pour identifier et suivre les épidémies. Le traçage des contacts des personnes infectées est crucial pour orienter les réponses aux épidémies. De nombreuses maladies zoonotiques graves ont d’importants réservoirs chez les animaux sauvages, tels que les chauves-souris ou les oiseaux, et le niveau de menace engendré par ces maladies peut être mal compris sans enquête des populations sauvages à moyen terme.
L’émergence d’infections et de modes de contamination jusque-là inconnus
L’approfondissement des connaissances a permis d’identifier de nouveaux dangers. Les prions sont de nouveaux types d’agents infectieux5 et contagieux (ni bactérie, ni virus, ni champignon, ni parasite, mais un simple morceau de protéine), contre lesquels nous sommes actuellement totalement dépourvus. La maladie de la vache folle, avec la crise sanitaire et commerciale massive qu’elle a provoquée, en est un exemple. Son origine est très vraisemblablement liée à un mode d’alimentation animale aberrant. L’impact économique et social de ce type d’épidémie est pour l’instant encore contenu car les zones touchées étaient localisées dans des pays ayant les moyens juridiques, régulateurs et logistiques d’y faire face et de reprendre le contrôle de la situation.
Il n’y a cependant aucune raison pour que de nouveaux agents pathogènes, plus ou moins contagieux, de propagation plus ou moins rapide (notamment en fonction de leur lieu d’émergence) et plus ou moins dangereux, n’apparaissent pas de temps à autre dans le champ animal, humain ou inter-espèces.
Questions de santé publique dans des environnements congestionnés : quand la crise déclenche une bombe à retardement pour la santé publique
L’urbanisation accélérée des dernières décennies a fait apparaître de nouveaux dangers. Les conditions sanitaires dans un bidonville, dans une ville touchée par la guerre ou une catastrophe, représentent une menace majeure en raison des défis combinés de la taille et de la densité de la population qui sont les deux variables clés d’une « équation de contamination ». Cela est bien sûr aggravé dans des contextes où l’on retrouve un grand nombre de camps de personnes déplacées, de toutes formes et dimensions, dans des zones à forte densité habitées par des populations pauvres. Mogadiscio, Manille et Port-au-Prince en sont quelques exemples. Ces villes comportent en effet de nombreux risques pour la santé publique, et le potentiel d’impact est sévère à cause des conditions de surpeuplement, du mauvais (ou très mauvais) assainissement et de la nature médiocre de la plupart des abris. La tuberculose est souvent répandue en raison de la façon dont les abris de déplacés sont conçus, surtout quand ils sont érigés dans des endroits surpeuplés. La diarrhée est un problème fréquent et le risque d’épidémie de choléra est élevé, ce qui est bien sûr directement lié aux conditions sanitaires déplorables dans lesquelles vivent de nombreuses personnes déplacées. Le paludisme est également un problème récurrent, avec beaucoup de variations saisonnières et géographiques. La rougeole est aussi l’une des causes de mortalité infantile la plus importante dans les villes. Dans de nombreuses opérations humanitaires classiques, les personnes déplacées sont abritées dans des camps qui sont souvent les principaux bénéficiaires des programmes de santé publique fournis par les agences d’aide. Toutefois, lorsque l’assistance sanitaire est fournie aux personnes déplacées, il est souvent nécessaire de l’étendre à la population environnante. En effet, la multiplication des centres de santé dans les camps où les populations urbaines voisines n’ont pas accès à des services de santé, est à la fois injuste et une source de problèmes sanitaire et de sécurité.
Il est nécessaire d’aborder cette question de manière plus stratégique avec le développement d’une « carte de santé en milieu urbain » qui offre une stratégie spatiale pour répondre aux besoins de santé des populations et des personnes déplacées dans les camps urbains à proximité.
En plus des risques épidémiologiques liés à la densité de la population (risques de contamination rapide et de haute magnitude, propagation de maladies respiratoires aiguës), aux conditions d’hygiène et d’assainissement inappropriées (maladies hydriques, le choléra, etc.), les contextes urbains engendrent d’autres types de problèmes de santé publique. Les maladies à transmission vectorielle sont un problème de santé très complexe qui nécessite une approche spécifique en post-catastrophe en milieu urbain (OPS, 1982). L’élimination ou le maintien de la population de vecteurs sous un certain seuil implique une campagne publique vigoureuse et l’engagement politique des autorités municipales.
Conclusion : quels problèmes sanitaires pour quels enjeux de sécurité ?
Les risques sanitaires présentent quelques caractéristiques communes : nouveauté, origine externe (modèle de l’agression), impact potentiellement large et désorganisateur sur la société et ses valeurs, impact socio-économique (coût), nécessitant de nouvelles régulations. Les risques sanitaires présentent trois types d’insécurité :
- L’insécurité biologique, liée aux risques infectieux transmissibles. Cette insécurité, actuellement la plus fréquemment recensée, devient un phénomène de plus en plus globalisé. Elle a un grand potentiel d’exclusion et d’affrontement entre les individus sains et malades, entre les pays touchés et les pays indemnes. Ce potentiel augmente avec la demande de traitements antibiotiques ou rétroviraux et l’offre croissante de médicaments non contrôlés. Les enjeux d’anticipation face à ce risque de plus en plus prégnant sont très importants (cf. grippe A).
- L’insécurité alimentaire, au sens « sanitaire » (safety). Les situations d’insécurité alimentaire de type « crise de la vache folle », et leurs répercussions économiques dramatiques (avec déstabilisation des marchés, protectionnisme, embargo, etc.), pourraient être une source importante de vulnérabilité des approvisionnements et du commerce. Une autre forme de cette insécurité pourrait être la « guerre des OGM », qui s’apparenterait fortement à une guerre biologique. En effet, ces produits OGM qui pénètrent la sphère de la production agricole ont des effets de pollution génétique significatifs dès qu’il existe des espèces sauvages de la même plante dans l’écosystème (cas du colza OGM et des nombreuses plantes adventices de la famille des Crucifères présentes dans les zones cultivées). La transmission par insectes pollinisateurs et celle liée aux formes proto-virales (prion) de transfert de génome, dont on découvre progressivement l’importance fondamentale, font de la dissémination des propriétés « modifiées » un phénomène pouvant s’assimiler, dans sa dynamique, à une contamination.
- La sécurité environnementale, la plus diffuse. La cause environnementale occupe une place croissante dans la genèse de certaines pathologies, comme celles issues de problèmes liés aux centrales nucléaires, aux incinérateurs, aux usines chimiques, à la pollution des eaux (rendues impropres à la consommation), à certains produits (amiante…), aux ondes électromagnétiques, etc. La sécurité environnementale peut aussi amener à remettre en cause certaines pratiques comme l’élevage intensif, ou encore certaines filières (nanotechnologies) avec notamment la multiplication sans suivi de leurs composantes (ex : antennes-relais pour la téléphonie mobile). Par ailleurs, la détérioration de la qualité de l’air urbain, liée essentiellement aux transports routiers et aux industries (notamment fortes concentrations d’ozone et micro particules) cause d’ores et déjà une hausse de la fréquence de maladies cardio-respiratoires, et pose des questions sur l’urbanisme et les transports.
Face à ces différents risques globaux, les réponses sont encore souvent nationales, voire locales (pour l’urbanisme et les transports) et peuvent varier d’un pays à l’autre. Elles ont souvent du mal à passer au niveau régional, alors que les dynamiques épidémiologiques sont rapidement « transfrontalières ». Les controverses au sein d’un pays, et entre les pays, sont un des faits émergents des dernières années et entravent significativement la mise en place de réponses appropriées. La mise en place de systèmes de surveillance appropriés aux contextes « à haut risque » a été encouragée par certains auteurs depuis plus de trois décennies (OPS, 1982). Ils ont fait valoir que ces systèmes sont essentiels pour l’anticipation et la réaction rapide, deux composantes fondamentales de la gestion des crises sanitaires aiguës. Ceci pose un problème majeur en ce qui concerne l’édification de stratégies internationales sanitaires face aux défis qui attendent l’humanité dans les prochaines décennies. Le transfert intercontinental du choléra vers Haïti a fait passer l’île du statut « indemne de choléra » au statut « choléra endémique », et ce sont les Caraïbes qui sont potentiellement touchées. L’épidémie d’Ebola, en cours en Afrique de l’Ouest, et ses débordements internationaux ont amené l’OMS à déclarer l’état d’urgence de santé publique et à lancer une mobilisation internationale, la première du genre. Il faudra tirer toutes les leçons de ces cas.
En conclusion, les liens entre sécurité sanitaire et sécurité publique sont nombreux et multiformes. Les controverses sur les « causes » et les « responsabilités » abondent. On observe des réactions et des réponses concurrentes, qui remettent en cause le fonctionnement social, et les relations internationales. Les difficultés rencontrées pour les prises de décision des dirigeants et institutions internationales, souvent ancrées dans un manque de visions et de capacités d’anticipation, les réactions de paniques des populations, qui finissent par s’en prendre aux personnels soignants et les dégâts humains, économiques, sociaux, voire sociétaux qui en résultent font de ces crises sanitaires un enjeu majeur dont il faut se saisir rapidement avant qu’il ne soit trop tard. Toutes les intelligences sont nécessaires…
François Grünewald – Directeur général et scientifique, Groupe URD
Hugues Maury – Expert en santé publique et Qualité, pédiatre et consultant pour le Groupe URD
Le présent article fait suite à une première publication sur les « Hots spots » et diverses évaluations sur Haïti couvrant notamment la réponse au choléra. Il contient des éléments d’une recherche multidisciplinaire sur les risques non intentionnels futurs menée en 2010.
- http://www.splf.org/s/IMG/pdf/grippe-espagnole.pdf
- “Emergence of a new antibiotic resistance mechanism in India, Pakistan, and the UK: a molecular, biological, and epidemiological study”, The Lancet, août 2010.
- « WHO failing in its duty of transparency »; Leading edge, The Lancet of infectious diseases, vol. 10, août 2010.
- C’est pour traiter ces virus (Ebola, Marburg, Lassa, Congo) qu’ont été créés des laboratoires très protégés dits P4. Pour y pénétrer, il faut avoir été accrédité. La procédure d’entrée dans ces laboratoires P4 est très contraignante pour éviter les sorties de matériel contaminé. Il faut prendre une douche, revêtir un scaphandre (sous pression positive de façon à ce qu’en cas de déchirure accidentelle de la combinaison scaphandre, l’air sorte du scaphandre, plutôt qu’il n’y entre ; évitant ainsi toute contamination) relié à l’une des prises fournissant de l’air renouvelé indépendamment de l’atmosphère du laboratoire. Au moment de quitter le laboratoire, une douche chimique en scaphandre est imposée avant de sortir du sas.
- L’apparition du terme date de 1982, les premières descriptions de la maladie de Creutzfeldt-Jakob de 1920.
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