Les deux séismes qui ont touché la Syrie et la Turquie le 6 février dernier font partie des catastrophes les plus meurtrières et destructrices de ces dernières décennies. La région, bien que très exposée à l’aléa sismique et aux mouvements de la faille Est-Anatolienne, n’avait pas connu de séismes d’une telle puissance depuis près de 200 ans. Pourtant, depuis longtemps, la Turquie fait partie des “hot spots” tectoniques et le séisme d’Izmit en 1999 avait déjà fait plus de 15.000 victimes. Depuis le début de l’année 2023, la multiplication des secousses et l’activité sismique permanente au Liban auraient dû attirer l’attention sur un potentiel épisode de grande ampleur[1].
Alors que la fréquence du risque à l’échelle nationale aurait pu permettre une forte mémoire et une culture du risque, cette catastrophe humaine s’est construite sur des fragilités préexistantes, et de nombreux paramètres présageaient un désastre sans précédent.
En Syrie, les séismes ont ainsi rajouté des pressions supplémentaires sur une réponse humanitaire déjà limitée et contrainte, ne permettant pas à l’aide humanitaire et aux secours d’être déployés rapidement dans les premières heures post-désastre. De plus, la crise syrienne a vu se déplacer en Turquie près de 3.7 millions de Syriens[2], principalement dans la région de Gaziantep, proche de l’épicentre des séismes. Ces populations déplacées étaient ainsi plus vulnérables face à un évènement majeur.
En parallèle, la région connait une fragilité des infrastructures et des constructions due à une urbanisation rapide, non planifiée, parfois spontanée. Cette urbanisation a fait fi du respect des principes parasismiques et d’une réflexion sur les “zonages du risque”. Des spéculateurs et des promoteurs avec peu de scrupules, s’appuyant sur des pratiques de grande tolérance sur le non-respect des normes, voire de corruption étendue des acteurs de la construction, ont permis la construction d’un urbanisme et de bâtiments inadaptés aux milieux à séismicité active.
Symptomatique d’une défaillance d’un système dans son entièreté côté turc[3], plusieurs alertes et critiques avaient été émises vis-à-vis de l’inaction des autorités dans la gestion de la politique de construction de logements sans aucun contrôle du respect des normes de construction parasismiques, dans un climat de corruption et d’incompétence[4].
Les mêmes dysfonctionnements existaient côté syrien, avec la fragilisation additionnelle liées aux nombreuses activités militaires, qui avaient déjà contribué à la fragilisation du bâti, comme ce fut le cas à Alep et à Idlib.
Ceci a eu pour conséquence des dégâts colossaux avec des effondrements massifs de bâtiments et des risques accrus d’enfoncement dû au phénomène de liquéfaction des sols, contraignant la réponse humanitaire et les secours à opérer dans des contextes déstructurés et impactant la confiance des populations et des acteurs locaux quant à l’état des bâtiments toujours debout.
La catastrophe actuelle fait une nouvelle fois écho à de nombreuses leçons apprises dans des contextes post-séismes similaires tels qu’en Haïti, au Liban ou encore au Népal[5]. Ces retours d’expérience et recommandations doivent servir de base de discussion pour mieux se préparer et répondre aux catastrophes sismiques.
[1] Depuis le début 2023, la région a notamment connu une dizaine d’épisodes sismiques notables. https://sismique.zone/turquie
[2] UNHCR (2022, 15 mars) Eleven years on, mounting challenges push many displaced Syrians to the brink. https://reliefweb.int/report/syrian-arab-republic/eleven-years-mounting-challenges-push-many-displaced-syrians-brink-enar
[3] France Info (2023, 8 février). Séisme en Turquie : « C’est une faute du système » car « en Turquie, les contrôles des bâtiments n’existent pas », dénonce un architecte turc. https://www.francetvinfo.fr/meteo/seisme/seisme-en-turquie-c-est-une-faute-du-systeme-car-en-turquie-les-controles-des-batiments-n-existent-pas-denonce-un-architecte-turc_5645969.html
[4] SkyNews Australia (2023, 13 février) ‘Corruption and incompetence’ at fault for buildings collapsing in Turkey. https://www.skynews.com.au/world-news/global-affairs/corruption-and-incompetence-at-fault-for-buildings-collapsing-in-turkey/video/6621e5209e38ad463c9b8d86276f5d66
[5] Le Groupe URD a continuellement conduit des analyses des réponses humanitaires post-séismes dans une variété de contextes. Pour en apprendre davantage, rendez-vous sur le site du Groupe URD : https://www.urd.org/fr/thematique/fragilites-risques-et-resilience/
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